L'HOMME AU SABLE
E. T. A. Hoffmann

Groupements de textes

Nous proposons ici 3 groupements de textes (le dernier groupement de textes étant plus spécifique aux élèves de bacs professionnels), en résonance avec les thèmes de L’Homme au sable. Le nombre d’ouvrages et d’extraits choisis peut bien entendu être étoffé à partir des préférences – et références – de chacun.

 

1. La fortune littéraire d’Hoffmann en France

Hoffmann est sans nulle conteste, l’écrivain qui influença le plus les conteurs fantastiques du XIXe siècle. On pourra aisément proposer un groupement de textes à partir du recueil Librio comportant déjà L’Homme au sable intitulé La dimension fantastique.

Olimpia, objet d’amour alors même qu’elle n’est qu’un objet, trouve un écho intéressant dans les textes suivants. On s’attachera également à montrer la variété des traitements narratifs de chacune de ces brèves nouvelles.

- Théophile Gautier,
La cafetière, p. 41-48 (in La Dimension fantastique)
Dans ce récit à la première personne, on s’interessera particulièrement à Angéla, morte lors d’un bal, qui s’incarne dans une cafetière que Théodore brise, brisant ainsi ces espoirs d’amour.

- Edgar Allan Poe, Le portrait ovale, p. 49-52 (in La Dimension fantastique)
On étudiera ici plus particulièrement le dispositif narratif complexe, qui n’est pas sans rappeler L’Homme au sable. Un narrateur blessé examine la notice d’un tableau étrange. Cette notice lui apprend que la femme du peintre est morte lentement à mesure que son portrait a pris vie.

- Villiers de l’Isle-Adam, Véra, p. 104-111
Ici on appuiera sur l’idée de prédestination à laquelle le héros ne peut échapper. Véra, dont son époux a voulu ignoré la mort, vient lui rendre la clef du tombeau, qu’il avait laissé dans son caveau lors de l’enterrement.

On pourra ajouter à l’étude de ces trois nouvelles l’étude d’un extrait du livret de l’opéra d’Offenbach Les contes d’Hoffmann (disponible sur le site de l’université de Stanford (voir sitographie). On invitera les élèves à analyser ce qu’Offenbach modifie dans le schéma de la nouvelle.

Voir le site : http://opera.stanford.edu/Offenbach/Hoffmann/acte2.html

[Haut de page]

2. La créature artificielle

Un récent programme d’agrégation (1999) avait proposé le thème de l’homme artificiel en associant L’Homme au sable, Frankenstein de Mary Shelley (1818) et L’Ève future de Villiers de l’Isle Adam (1886).

S’il ne paraît pas raisonnable de proposer la lecture cursive des deux romans mentionnés, on pourra aisément soumettre des extraits des œuvres évoquées, auquel on pourra ajouter un extrait du Golem de Gustave Meyrinck (1915). On proposera en conclusion de montrer la scène de la création du double de Maria par Rotwang dans le Metropolis de Fritz Lang (1927).

On pourra ainsi se concentrer sur les scènes de création à proprement parler :

- Mary Shelley, Frankenstein : chapitre 5, création du monstre et rencontre avec Clerval (Paris : Gallimard, "Folio Juniors", 2000)
- Villiers de l’Isle Adam, L’Ève future : Livre II, chapitre III, l’apparition d’Hadaly, double sublime de la triviale Miss Alicia Clary (Paris : Flammarion, "GF", 2008)
- Gustave Meyrinck, Le Golem : p. 45 à 63 (Paris : Stock, "Bibliothèque cosmopolite", 1992. Trad. Denise Meunier. )

L’extrait du film est quant à lui disponible à l’adresse suivante :

http://www.columbia.edu/ccnmtl/projects/engel/films/metropolis2_1.mov
[Haut de page]
 

3. Du fantastique au surréalisme : l’inquiétante étrangeté

Ce groupement de textes est plus spécifiques aux élèves de bacs professionnels. Il s’intègre dans la séance 6 de la séquence bac professionnel.

L’inquiétante étrangeté est le titre en français de Das Unheimliche (littéralement « qui n’est pas familier »), article de Sigmund Freud paru en 1919. Cette traduction française n’est pas satisfaisante mais il n’y a pas d’autre équivalent dans notre langue.

Voir le texte en ligne : « L’inquiétante étrangeté », édition électronique réalisée par l’université du Québéc à Chicoutimi, à partir de l’article de Sigmund Freud (1919), “L’inquiétante étrangeté” (Das Unheimliche). Traduction française de Marie Bonaparte (1882-1962) et Mme E. Marty. On retrouve cet article dans Essais de psychanalyse appliquée. Collection Idées, nrf, no 243. Paris: Éditions Gallimard, 1933. Réimpression, 1971 (pages 163 à 210). Cet article a été originalement publié dans Imago, tome V, 1919.

Disponible sur :
http://classiques.uqac.ca/classiques/freud_sigmund/essais_psychanalyse_appliquee/
10_inquietante_etrangete/inquietante_etrangete.html

Dans cet article, Freud reprend ce concept précédemment étudié par le neurologue Jentsch mais en propose une autre définition en relation avec l’approche psychanalytique. L’inquiétante étrangeté, c’est une angoisse très particulière : c’est la frayeur qui « se rattache aux choses connues depuis longtemps et de tout temps familières ».

Jentsch lie la sensation d’inquiétante étrangeté à l’incertitude intellectuelle dans laquelle nous plonge le personnage d’Olimpia dans L’Homme au sable : est-elle femme ou automate ? Ce doute est lié, selon lui, à l’irruption de ce qui n’est pas familier (interrogations sur la nature de cette « femme ») dans un environnement qui lui l’est.

Freud considère que Jentsch n’a pas saisi ce qui fonde véritablement l’inquiétante étrangeté. S’interrogeant sur le sens du mot allemand « heimlich », il note que celui-ci désigne aussi ce qui est caché, ce que l’on ne voit pas et  donc pas uniquement ce qui est familier. Ainsi, le sentiment d’inquiétante étrangeté résulte du dévoilement de ce qui devrait demeurer caché. Pour Freud, ce qui devrait demeurer caché c’est ce qui relève du refoulé, notamment les angoisses et terreurs infantiles. Chez Nathanaël, nous assistons à la réactivation récurrente de la peur qui a été la sienne lors de la scène avec Coppelius et son père. Cette réactivation a lieu avec le marchand de baromètres Coppola et lors de la scène finale. La peur de Nathanaël, c’est celle de perdre ses yeux ce qui, pour Freud est un « substitut à l’angoisse de castration ».

Freud considère aussi que le motif du double est générateur d’inquiétante étrangeté dans la mesure où il constitue une interrogation sur le moi.

Dans le groupement proposé, nous avons retenu l’acception la plus large de la notion d’inquiétante étrangeté, celle qui renvoie non seulement à ce qui n’est pas familier et qui se manifeste mais aussi à ce qui devrait demeurer caché (de l’ordre de l’inconscient) et qui refait surface.

- ETA Hoffmann, L’Homme au sable, chapitre 8, p. 39-40 (Librio) : lire l’extrait en ligne (les 3 textes présentés sont sur le même PDF).
 

- Au début du passage, quels éléments peuvent laisser croire à un dénouement heureux ? Quelle figure de style Nathanaël utilise-t-il pour désigner Clara ?
- À quel moment un basculement s’opère-t-il ? (indices à relever)
- Relevez l’ensemble des éléments qui permettent de rapprocher cette scène finale des autres scènes de transgression et de traumatisme (scène avec le père et Coppelius, scène avec Spalanzani et Coppelia, le poème de Nathanael).
- Que réveille cette scène chez Nathanael ? De qui et de quoi a-t-il peur à chaque fois ?
 

 

- Guy de Maupassant, Le Horlà, 1887 : lire l’extrait en ligne (les 3 textes présentés sont sur le même PDF).

Ce passage se situe à la fin du conte, moment où le narrateur s’engage dans une lutte désespérée contre le Horla, un être invisible qui le persécute.

Texte intégral accessible en ligne :
http://fr.wikisource.org/wiki/Le_Horla_(nouvelle)

- Quels éléments montrent que le Horla est bien connu du narrateur ?
- Montrez l’importance du thème de la vue dans ce passage. Soulignez sa double dimension (voir/se voir).
- Quelle figure de style souligne la difficulté du narrateur à décrire l’invisible, le vide ?
- Symboliquement, comment interprétez-vous le fait que le narrateur ne se voit plus dans le miroir ?
 

- Henry James, Le Tour d’écrou, 1898, chapitre V, traduit de l’anglais par M. Le Corbeiller : lire l’extrait en ligne (les 3 textes présentés sont sur le même PDF).

Ce passage se situe au début du roman, au moment où le narrateur a pour la deuxième fois une vision pour le moins troublante, celle d’un employé de la maison décédé plusieurs années auparavant.

Texte intégral accessible en ligne :
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/james_tour_ecrou.pdf

- Montrez l’importance qu’occupe le regard dans ce passage. En quoi la focalisation interne vient-elle renforcer l’intensité des regards ?
- Montrez qu’une même scène se répète dans ce passage. Quels sont les points communs aux deux apparitions ? Quel effet a la scène miroir sur le narrateur ?
- Peut-on affirmer que la première apparition est celle d’un spectre réel ? Est-ce au contraire le fruit de l’imagination du narrateur ?
 

- René Magritte, Jeune fille mangeant un oiseau (Le plaisir), 1927

Voir le tableau en ligne : dans la rubrique Surréalisme

Rédigez une description du tableau Jeune fille mangeant un oiseau (le plaisir)
Quels éléments, selon vous, confèrent à ce tableau une inquiétante étrangeté ?

Peintre surréaliste, Magritte s’est beaucoup inspiré de la littérature fantastique, tout particulièrement celle de la seconde moitié du dix-neuvième siècle (E.A Poe notamment).

Si l’étrangeté caractérise l’ensemble de ses œuvres, certaines d’entre elles traduisent plus particulièrement le concept d’inquiétante étrangeté tel que défini par Freud.

Chez Magritte, l’inquiétante étrangeté est liée à la juxtaposition inattendue d’éléments banals et quotidiens sur la toile. En effet, le résultat de cette juxtaposition ne renvoie à rien de connu, d’identifiable et par là même constitue une source de trouble et d’étrangeté. Ces éléments perdent ainsi la dimension banale qui fait que l’on n’y prête guère attention. Il faut alors les considérer pour ce qu’ils sont et écarter toute symbolique que l’on serait tenté d’y attacher. D’ailleurs, le peintre considérait à ce propos que "l’art de peindre (…) représente des objets, de telle manière qu’ils résistent aux interprétations habituelles"*. Sortir des éléments de leur contexte pour les associer les prive de sens et de signification et permet d’avoir un regard neuf exempt de préjugés ou de symbolique. L’inquiétante étrangeté tient au fait que les éléments sont vus pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils suggèrent.

Le tableau Jeune fille mangeant un oiseau (le plaisir) repose sur ce principe de juxtaposition, d’association d’éléments banals et quotidiens. Une jeune enfant mord un oiseau dont le sang se répand sur sa tunique bordée de dentelles. Derrière elle, quatre autres volatiles sont posés sur les branches d’un arbre.

L’inquiétante étrangeté du tableau tient tout d’abord au contraste (incompatibilité) entre les représentations (connotations) que chacun associe à l’enfance et la monstruosité de l’acte auquel se livre la jeune fille. Elle est aussi liée à l’animal sur lequel la jeune fille a jeté son dévolu. Les connotations positives attachées à l’oiseau rendent la scène d’autant plus inquiétante et incompréhensible. L’animal revêt ici une dimension maléfique et inquiétante. Elle réside enfin dans le titre qui associe jeune fille mangeant un oiseau et plaisir, ce qui ne peut manquer de perturber notre perception.

* René Magritte, Écrits complets (édition d’A. Blavier), Paris : Flammarion, 1979, p. 472.

[Haut de page]