L'HOMME AU SABLE
E. T. A. Hoffmann

Parcours pédagogiques

Ce parcours pédagogique est volontairement orienté autour de deux notions de littérature générale inscrites aux programmes des classes de collège et de lycée professionnel : le fantastique et le conte.
Une 1re séquence est donc proposée pour les élèves de terminale bac professionnel dans le cadre de l’étude d’une œuvre intégrale. Au delà de la maîtrise des caractéristiques propres à la narration et au récit, elle vise à mobiliser des notions permettant une compréhension et une connaissance du fantastique hoffmannien.
Par ailleurs, si la lecture complète du texte d’Hoffmann peut s’envisager avant le travail en classe en lycée professionnel, il conviendra, si l’on envisage d’entreprendre une telle étude en 4e, de proposer des dispositifs de lecture accompagnée en classe, en particulier pour éclairer le vocabulaire du texte, dont les élèves sont peu familiers. On pourra ainsi ne pas forcément proposer une lecture préalable à l’étude en classe, afin que les élèves fassent plus facilement des hypothèses de lecture. De même, entre chaque séance, on pourra proposer de ne lire qu’un nombre restreint de pages aux élèves ou réserver la lecture de la nouvelle au temps en classe.

 

 

Téléchargez le déroulé de la séquence (niveau bac professionnel) pour étudier l’œuvre en classe

Voici ci-dessous, un autre parcours qui combine des séances développées pour des classes de 4e avec des séances figurant dans le parcours pédagogique niveau bac professionnel (étapes 2, 4 et 6).

Étape n° 1 : un conte qui ne ressemble pas à un conte …

Il s’agit dans cette séance d’introduction de présenter aux élèves le titre du recueil dont est tiré « L’homme au sable » ( Nächstucke traduit le plus souvent par Contes Nocturnes).
On proposera aux élèves la lecture des trois premiers chapitres du « conte » (p.11-22 de l’édition Librio).

Cette séance développée s’intègre plus particulièrement dans les programmes de 4e.

Problématique : comment le narrateur nous expose-t-il la situation de ses personnages ? Cet exposé de la situation initiale correspond-t-il à ce que l’on attend d’un conte ?

Objectifs (du programme de 4e) :
- Découvrir l’incipit du conte
- Comprendre le fonctionnement du roman par lettres

Modalités de travail :
Travail de lecture à voix haute avec élucidation des mots difficiles du texte par le professeur, puis travail de groupe pour le schéma narratif et le schéma actanciel de ce début de conte.

Voici quelques pistes d’exploitation pour les classe de 4e.

1. La scène d’exposition d’un roman par lettres

La première lettre considérée est celle que Nathanaël adresse à son ami Lothaire. On remarque dès la première ligne le sentiment dominant d’inquiétude (« Sans doute, vous êtes tous remplis d’inquiétude […] ») que l’auteur de la lettre attribue à son interlocuteur. Par un dispositif narratif très intéressant et proche de la double énonciation théâtrale, le lecteur est amené à repérer des indices qui expliquent la situation d’énonciation.
Nathanaël se trouve loin de sa mère, de Clara, sa fiancée dont la deuxième lettre révèle qu’elle est pleine d’un bon sens bourgeois, et de Lothaire, son meilleur ami, également frère de Clara.

Une rencontre anodine avec un marchand de baromètres a réveillé chez le jeune homme des souvenirs douloureux liés à la mort de son père et un fort sentiment de prédestination au malheur :

« Il me reste à te raconter le plus horrible instant de mon enfance ; puis tu seras convaincu qu’il n’en faut pas accuser mes yeux si tout me semble décoloré  dans la vie ; car un nuage sombre s’est étendu au-devant de moi sur tous les objets, et ma mort seule peut-être pourra le dissiper. » (p.17)

Pour expliquer ce trouble profond en apparence inexplicable, le narrateur enchâsse dans sa lettre le récit du grand traumatisme de son enfance. Ce récit d’enfance commence d’une façon qui anticiperait presque Proust. Nathanaël se remémore avec précision les soirées passées avec son père et sa mère, le plaisir qu’il avait à rallumer sa pipe, mais aussi l’air inquiet de sa mère, qui envoie les enfants se coucher en annonçant que c’est l’heure de « l’homme au sable ». Cette expression, pourtant explicitée clairement par la mère, est prise au pied de la lettre par l’enfant, car l’heure du coucher coïncide avec l’heure où un visiteur nocturne rejoint son père. Il imagine donc un  véritable « homme au sable » rendu encore plus monstrueux par le « conte de bonne-femme » que lui a rapporté la nourrice.

Un soir, Nathanaël décide de découvrir la véritable nature de l’homme aux sables et se cache dans la chambre de son père. Il découvre alors son père se livrant avec l’avocat Coppélius (sur lequel nous reviendrons dans l’étape suivante) à des actions étranges, sur lesquelles on laissera les élèves formuler le plus d’hypothèses possibles en les invitant à se reporter plus particulièrement aux pages 15 et 16 de l’édition Librio (Font-ils de l’alchimie ? Pratiquent-ils des rituels sataniques ? Créent-ils des homonculus ou des êtres artificiels ?).

Coppélius s’empare de Nathanaël et lui cause une très grande frayeur. Un an plus tard, Coppélius revient auprès du père de Nathanaël qui meurt dans la nuit. On est ici au cœur de l’esthétique traditionnelle du récit fantastique : un narrateur rapporte des faits où la part entre l’explication rationnelle et l’explication surnaturelle ne peut être clairement établie. On est dans l’hésitation proprement fantastique.

2. Un dispositif narratif complexe
Or la deuxième lettre met à distance ce récit fantastique. Lectrice avertie, Clara indique dans un premier temps l’effet très inquiétant de la lettre. On peut ainsi montrer aux élèves que le portrait de Coppélius, sur lequel on reviendra dans la deuxième étape, était réussi puisqu’il a provoqué un sentiment d’horreur chez Clara également. Pourtant l’effet n’est que très temporaire chez Clara, puisque dès le lendemain matin, elle peut proposer un autre point de vue. Alors que la lettre de Nathanaël est un modèle de récit de terreur, insinuant le doute, celle de Clara est un modèle de rationalité. La lettre commence par exhiber l’agitation dans laquelle se trouve Nathanaël, puisque celui-ci se trompe au moment d’envoyer sa lettre. Cette erreur de destinataire est l’occasion pour Clara de manifester son amour pour Nathanaël mais aussi et surtout de le ramener à des explications plus terre-à-terre. La mort du père ne pourrait être due qu’à une tentative d’expérience alchimique ratée. Quant à la prédestination funeste, elle ne serait qu’une vue de l’esprit, contre laquelle le bon sens pourrait combattre.

Les remarques pleines d’à propos de Clara sont pourtant mises à mal par l’organisation narrative très retorse du texte. En effet, alors même que ces affirmations sont justes, elle se déprécie elle-même sans cesse. On fera remarquer le caractère très ironique des phrases suivantes :

« Tu m’as quelquefois reproché en riant que j’avais un esprit si paisible et si calme que si la maison s’écroulait, j’aurais encore la constance de remettre en place un rideau dérangé, avant que de m’enfuir ; […] » p.18

« Il m’a répondu affirmativement, en me décrivant longuement à sa manière comment la chose pouvait se faire, et en me citant un grand nombre de mots bizarres, dont je n’ai pu retenir un seul dans ma mémoire. – Maintenant tu vas te fâcher contre ta Clara. Tu diras : Il ne pénètre dans cette âme glacée nul de ces rayons mystérieux qui embrassent souvent l’homme de leurs ailes invisibles ; elle n’aperçoit que la surface bariolée du globe et elle se réjouit comme un fol enfant à la vue des fruits dont l’écorce dorée cache un venin mortel. »

Présentée comme une dinde raisonneuse, la parole de Clara est d’emblée dépréciée dans son propre discours. Elle est pourtant capable, elle aussi d’ironiser sur les prétentions poétiques de son prétendant. Capacité qui vexe profondément Nathanaël, comme le montre le début de la troisième lettre.

3. Une écriture déjà ambiguë
 
Après des formules convenues sur sa négligence coupable envers Clara et sa mère, Nathanaël avait tenté, dans la première lettre, de la justifier en dramatisant à l’outrance un fait, finalement très insignifiant : la visite d’un marchand de baromètre.

Ces premières lignes sont en quelque sorte programmatique de la démarche d’écriture adoptée par le texte : le narrateur-personnage s’illusionne à partir d’un indice insignifiant, qui est en quelque sorte monté en épingle. Cet effet de dramatisation est le propre de l’écriture fantastique qui contraste de façon saisissante avec le début de la troisième lettre, pour laquelle Nathanaël adopte un registre beaucoup plus rationnel. Fâché de la réponse raisonneuse de Clara, Nathanaël reproche à Lothaire de lui avoir fait la leçon, leçon mal digérée selon lui.

L’inquiétude de la première lettre a cédé la place à une certaine forme d’arrogance. Semblant renoncer à l’identité de Coppola et de Coppélius, Nathanaël y rapporte d’autres faits en apparence sans rapport avec cet incident (« Mais pourquoi t’écrire ces chose ? » p.22). Il aurait vu la fille de Spalanzani, son nouveau professeur de Physique, dont le regard absent a produit sur lui un effet étrange.

« Une femme de la plus riche taille, magnifiquement vêtue, était assise dans la chambre, devant une petite table sur laquelle ses deux mains jointes étaient appuyées. Elle était vis-à-vis de la porte, et je pouvais contempler ainsi sa figure ravissante. Elle sembla ne pas m’apercevoir, et en général ses yeux paraissaient fixes, je dirai même qu’ils manquaient des rayons visuels ; c’étaient comme si elle eût dormi les yeux ouverts. Je me trouvai mal à l’aise, et je me hâtai de me glisser dans l’amphithéâtre qui est voisin de là » (p.21-22)

On fera remarquer aux élèves le retour de la question des yeux qui met mal à l’aise Nathanaël, qui annonce dans les lignes qui suivent cet extrait, qu’il vient recouvrer des forces auprès des siens.

On voit donc que la narration ne revêt pas la forme traditionnellement attendue par les élèves pour un conte. La situation initiale a été perturbée par la visite de Coppola mais sans que cela entraîne pour le moment de péripéties en rapport avec cette situation. Si on pouvait lire une séquence narrative très nette dans le récit enchâssé de Nathanaël, on est là dans une impasse narrative apparente (puisque Coppélius disparait pour le moment du récit). On montrera donc aux élèves le caractère très étrange de ce conte, qui pourra pour le moment ne pas leur apparaître comme tel dans le dispositif narratif, même si le conte, comme genre littéraire est lui très présent (contes du père, de la nourrice…).

On s’attachera en conclusion à montrer en particulier comment les personnages de Clara et de Nathanaël montrent différentes facettes : à la fois sérieux et bouffons.

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Étape n° 2 : Coppélius, un personnage sinistre et grotesque

Lire l’extrait sur le site des Parcours littéraires européens : « À la taciturnité de mon père [. . .] en son honneur quelques flacons de réserve » (p. 14 à 15).

Cette séance développée s’intègre parfaitement aux programmes de 4e. Son étude est aussi prévue pour les bacs professionnels dans le cadre de la séance 3 (cf. séquence bac pros).

Problématique : en quoi l’arrivée de Coppélius marque t-elle l’irruption de l’horreur et du mal dans l’existence de Nathanaël ?

Objectifs (plutôt pour les classes de bac professionnel) :

- Identifier les procédés de dramatisation
- Mettre en évidence l’organisation du portrait
- Appréhender la nature à la fois diabolique et grotesque du personnage
- Souligner l’importance du passage dans le récit (basculement)
- Rédiger une prise de parole argumentée

Modalités de travail : travail individuel puis cours dialogué

1. L’intensité dramatique

- L’intensité dramatique croît avec l’arrivée de Coppélius. Comment cela se manifeste-t-il ? (rythme, sons, …)
- Quel est le sentiment dominant éprouvé par l’enfant ? Relevez le champ lexical correspondant.

La tension dramatique va crescendo et le suspense est à son comble lorsque Coppélius apparaît aux yeux de l’enfant. Un certain nombre de clichés propres à la dramatisation sont aisément repérables. Ils vont de la progression des sensations auditives aux courtes pauses en passant par les impressions de l’enfant narrateur.

« la porte craqua », « les pas lents [. . .] menaçants » / Une pause (les enfants vont se coucher, il rentre dans la chambre de son père) puis « les pas approchaient de plus en plus », « l’Homme toussait, soufflait et murmurait », « le cœur me battait d’attente et d’effroi », « Un pas sonore, un coup violent, les gonds tournent avec bruit », « la lueur des flambeaux éclaire son visage ».

Ce passage fait écho au début de la lettre où Nathanaël confie à Lothaire sa peur lors de la confrontation avec le marchand de baromètres Coppola. Ainsi, l’arrivée de Coppélius engendre terreur et angoisse chez l’enfant. Nous retrouvons ainsi les termes du champ lexical de la peur, de l’épouvante : « effroi », « terrible », « horrible », « épouvante », « affreux », « repoussant » x2, « dégoût », « désespoir », « hideux », « ennemi ».

2. Le portrait de Coppélius

- Comment s’organise le portrait de Coppélius ?
- Observez le changement de temps. Quel effet cela produit–il ?
- En quoi Coppélius apparaît-il comme une figure monstrueuse et diabolique ? Justifiez votre réponse.

Nathanaël dresse tout d’abord le portrait physique de Coppélius. Celui-ci s’articule autour de trois étapes :
-    la tête/le visage
-    les vêtements
-    les mains (effet de loupe).

Vient ensuite un portrait psychologique : l’enfant insiste sur la malveillance, la malignité du personnage. L’exagération manifeste dont est empreint ce portrait nous rappelle qu’il s’agit d’une vision enfantine largement influencée par une peur viscérale de la figure de l’Homme au sable. Notons au passage qu’à la suite de cette description, l’enfant associe définitivement « ce Coppélius » à l’Homme au sable rejetant par la même le « conte de la nourrice ».

Alors que le début du portrait est au présent, le reste de la description est à l’imparfait. Le présent, qui correspond à la description du visage, crée un effet de réel : l’apparence des yeux, les mouvements de la bouche et les bruits qui s’en échappe rendent Coppélius plus vrai que nature / mettent Coppélius face au lecteur.

Coppélius présente toutes les caractéristiques propres à la malveillance, à la monstruosité. C’est l’incarnation du mal, du diable, d’un être supérieur et maléfique. Son rire (« riait aux éclats ») et le plaisir qu’il prend à tourmenter les enfants (« se faisait un plaisir de toucher les gâteaux », « jouissait alors singulièrement », « empoisonnait jusqu’à la moindre de nos joies ») sont le signe de sa perversité, de sa cruauté et de sa dimension diabolique. D’ailleurs, son père ne le considère-t-il pas comme « un être d’un ordre supérieur » ? Enfin, Nathanaël confirme dans le paragraphe suivant qu’il s’agit bien d’une « odieuse et fantasque créature ».

L’enfant est en outre effrayé par sa laideur, sa difformité, par sa « figure (qui) composait un ensemble affreux et repoussant ». Il évoque ainsi sa « tête informe », son « visage terne », ses « sourcils gris », un nez « gigantesque », des « lèvres épaisses » ainsi que ses « grosses mains velues et osseuses ».

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 3. Une apparition théâtralisée

- Quels éléments dans ce passage relèvent du cliché et de la caricature ?
- En quoi ce passage marque t-il un changement/une rupture à la fois dans l’existence de Nathanaël et dans le récit ?

La dimension théâtrale et presque caricaturale de l’arrivée du personnage ainsi que les exagérations de la vision de Nathanaël font de Coppélius un être grotesque, l’archétype de l’être maléfique. Notons d’abord l’aspect théâtralisé de l’apparition de Coppélius : un coup annonce son arrivée dans la chambre et son visage est alors éclairé par les flambeaux !

Les traits du personnage sont exagérés jusqu’à le rendre difforme et grotesque. Cela confère à ce portrait une tonalité comique qui n’est évidemment pas perçue par l’enfant. Sans que l’on puisse parler de surnaturel, l’apparition de Coppélius est annonciatrice d’un bouleversement dans l’ordre des choses. C’est un tournant dans le récit dans la mesure où s’opère déjà le glissement vers le fantastique : dans l’univers réaliste et quotidien du début du récit surgit cet être cruel et mystérieux. C’est aussi à partir de ce moment que la vie de Nathanaël bascule dans le « chagrin et le tourment ». La figure de Coppélius ne cessera de hanter l’enfant puis l’étudiant qui le retrouvera sous les traits de Coppola. Il sera tenu pour responsable de la mort du père et causera la perte du fils.

4. Prolongements

- Retrouver les passages consacrés à Coppola. Quels sont les points communs ? Les différences ? Montrer que les deux personnages se confondent à la fin du récit.
- Travailler sur le portrait de Coppélius et Coppola, à partir d’une série de gravures à l’eau forte de Jacques Callot : quels rapprochements peut-on établir (caricature, grotesque…) ?

Vous pourrez vous aider des sites suivants :

http://www.jacquescallot.com/

http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Callot

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Étape n° 3 : la rupture du pacte narratif

On proposera aux élèves de lire ensemble le début du quatrième chapitre (du début de cette partie jusqu’à […] leur séparation lui causa ses premiers chagrins. »).

Cette séance développée s’intègre plus particulièrement dans les programmes de 4e.

Problématique : pourquoi le narrateur change-t-il le système de narration ? Qui est ce nouveau personnage aussi étrange que Nathanaël lui-même ?

Objectifs :
- Donner aux élèves quelques notions de narratologie
- Faire réfléchir les élèves aux stratégies narratives

Modalités de travail :
Lecture à voix haute par le professeur de l’extrait choisi.

Travail de groupe : avec l’aide d’un dictionnaire pour éclairer les mots difficiles du texte, faire le plan de l’extrait en découpant le texte en parties auxquelles on donnera un titre pertinent. Présenter ensuite à la classe le plan de chaque groupe en justifiant les titres et le découpage des parties.

Cours dialogué : analyser le portrait de Clara

Travail individuel à faire à la maison : choisir parmi les incipits proposés par Hoffmann celui qui vous paraît le plus approprié. Justifier votre choix avec trois arguments au moins.

1. Une avalanche d’incipits

Alors que traditionnellement le roman par lettres est précédé d’une préface explicitant comment l’éditeur de lettres s’est trouvé en leur possession, on se trouve ici dans une situation inversée.

On ne saurait imaginer rien de plus bizarre et de plus merveilleux que ce qui arriva à mon pauvre ami, le jeune étudiant Nathanaël, et que j’entreprends aujourd’hui de raconter.

Après les trois lettres précédentes, le début de ce quatrième chapitre marque une rupture narrative très étonnante. Ce quasi « incipit parfait » ne surprendra peut-être pas les élèves. Il convient pourtant d’insister sur l’étrangeté qui consiste à recommencer son histoire alors que nous sommes déjà dans entrés dans le vif du sujet. D’autant que la question du début est longuement discutée par le narrateur qui nous propose (p.23 éd. Librio) d’autres incipits possibles :

La singularité de l’aventure m’avait frappé, c’est pourquoi je me tourmentais pour en commencer le récit d’une manière séduisante et originale. « Il était une fois !» beau commencement pour assoupir dès le début. « Dans la petit ville de S***, vivait… » ou bien entrer aussitôt medias in res, comme « Qu’il aille au diable ! s’écriait, la fureur et l’effroi peints dans ses yeux égarés, l’étudiant Nathanaël, lorsque le marchand de baromètres, Guiseppe Coppola… » J’avais en effet commencé d’écrire de la sorte, lorsque je crus vois quelque chose de bouffon dans les yeux égarés de l’étudiant Nathanaël ; et vraiment l’histoire n’est nullement facétieuse.

Cette accumulation d’incipits peut être l’occasion de réfléchir avec les élèves sur les différentes manières de commencer un récit. On demandera par exemple aux élèves de choisir parmi les incipits proposés par Hoffmann celui qu’ils préfèrent et de justifier leur choix dans une perspective d’effet sur le lecteur

Ce nouveau début est d’autant plus étonnant, que dans l’extrait sélectionné aucune nouvelle information de type narratif n’est mentionnée. Le narrateur semble contourner la narration en trois temps (que les élèves auront sans doute repérés dans leurs propositions de plan).

Alors qu’il vient d’annoncer qu’il va raconter l’histoire de Nathanaël, il commence par une longue généralité digressive sur le besoin de peindre/d’écrire lorsqu’un élément extraordinaire se présente pour justifier son désir d’écrire. Suit l’accumulation des incipits qui se conclut par le choix très paradoxal de ne pas mettre d’incipit : « Je résolus alors de ne pas commencer du tout. » et l’espoir de réussir à peindre au plus juste cette histoire. Alors que l’on pense que le récit va enfin commencer avec des « éclaircissements », finalement assez peu utiles, sur la façon dont Clara, Lothaire et Nathanaël ont été amenés à vivre ensemble chez la mère de Nathanaël, une nouvelle digression se met en place avec le portrait étrange de Clara. Cette digression est exhibée dans le passage suivant.

Maintenant, je pourrais continuer bravement mon récit, mais l’image de Clara se présente si vivement à mon esprit que je ne saurais en détourner les yeux. Ainsi m’arrivait-il toujours lorsqu’elle me regardait avec un doux sourire.

Le narrateur semble donc éviter de raconter l’histoire comme s’il tenait à montrer à son lecteur que la narration était plus importante que la chose narrée. Tel un magicien maladroit, il attire l’attention de son lecteur sur ses trucs.

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2. Le portait de Clara

Le même procédé de désarmoçage est l’œuvre dans la partie de l’extrait sélectionné consacré au portrait de Clara, (du bas de la page 23, jusqu’à la fin de l’extrait p.24).

Clara ne pouvait passer pour belle, c’est ce que prétendaient tous ceux qui s’entendent d’office à juger la beauté. Cependant […]

Il conviendra de présenter aux élèves sans déflorer la suite du récit, l’ambiguïté du portrait de la jeune fille comme une anticipation du portrait d’Olimpia (étudié dans la 5e étape de ce parcours). On fera en particulier remarquer la coexistence de deux points de vue totalement contradictoires sur la jeune fille, qui s’expriment d’ailleurs souvent dans la même phrase.
 

 

Aspects négatifs du portrait
Aspects positifs du portrait
« Clara ne pouvait passer pour belle, c’est ce que prétendaient tous ceux qui s’entendent d’office à juger la beauté.» « Cependant les architectes louaient la pureté des lignes de sa taille »
« Les peintres trouvaient son dos, ses épaules et son sein formé d’une façon peut-être trop
chaste ; »
« mais tous, ils étaient épris de sa ravissante chevelure, qui rappelaient celle de la Madeleine du Corregio, et ne tarissaient point sur la richesse de son teint, digne de Battoni. »
« L’un d’eux en véritable fantasque, » « Comparait ses yeux à un lac de Ruisdaël, où se mirent l’azur du ciel, l’émail des fleurs et les feux animés du jour. »
« sa nature silencieuse et modeste, […] »  « […] le regard pétillant de la jeune fille et son sourire ironique »
« Aussi accusait-on Clara d’être froide, prosaïque et insensible ; […] » […] mais d’autres, qui voyaient mieux la vie, aimaient inexprimablement cette charmante fille. »

 

On distingue ainsi le point de vue de « tous ceux qui s’entendent d’office à juger la beauté. », « les esprits légers et présomptueux »,  « on » et celui des « architectes », « peintres », de « l’un d’entre eux en véritable fantasque », des « poètes et [des] virtuoses », et « d’autres qui voyaient mieux la vie ».

Alors que les premiers semblent trouver Clara bien prosaïque et ordinaire, les seconds, tous hommes des arts, trouvent la « charmante fille » digne d’être peinte et chantée. Pourtant le portrait n’est pas entièrement mélioratif : les peintres modulent leur enthousiasme, l’homme qui compare ses yeux à un lac est traité de « fantasque »… Le système de mélange des points de vue crée ainsi une confusion pour le lecteur. Qui croire ? la première impression que nous a laissé la lettre du second chapitre que Clara adresse à Nathanaël semble confirmer son prosaïsme. Peut-on faire confiance à ce narrateur qui rappelons-le est sous le charme de Clara ?

Ainsi m’arrivait-il toujours lorsqu’elle me regardait avec un doux sourire.
 

3.  L’identité du narrateur

La façon d’écrire de ce narrateur semble en effet remettre en cause le pacte de lecture, qui aura pu se nouer, car le narrateur se rend sans cesse suspect. À la manière d’un Diderot dans Jacques le Fataliste, Hoffmann élabore un narrateur qui exhibe les conventions romanesques et les remet en cause dans le dialogue que le narrateur instaure avec son lecteur. On passe ainsi d’un échange de lettres où le narrateur est en position de destinataire secondaire dans le cadre d’une double énonciation, à un quasi dialogue entre le narrateur et son lecteur. Face à un lecteur, que le narrateur postule être cultivé, comme le prouve les références aux peintres mentionnés pour le portrait de Clara,  et lui-même un peu auteur, puisqu’il pense que nous avons déjà ressenti ce besoin d’écrire qui l’anime (voir p.22 éd. Librio), le narrateur se présente comme un personnage lui-même bien étrange.

Il se pose en effet comme un personnage de l’histoire, dont le rapport aux personnages reste énigmatique. Comme il raconte en focalisation interne, alors même que sa position de narrateur personnage devrait lui faire raconter les événements en focalisation externe, ce narrateur semble problématique. Il pourrait être intéressant de faire émettre aux élèves des hypothèses sur l’identité de ce narrateur au fil de leur lecture de la nouvelle. On pourra les inviter à commencer à compléter un tableau du type de celui qui suit. À titre d’exemple figurent dans le tableau des hypothèses proposées par des élèves lors d’une étude en 4e de cette œuvre (les justifications proposées sont celles des élèves de 4eA du Collège Henri Dunant de Colombes, telles qu’elles avaient été notées par le professeur en 2004-2005).
 

 

  Le narrateur peut être … parce que …
Le narrateur ne peut pas être … parce que …
Un ami de Nathanaël et de Lothaire Parce qu’il se présente à nous de cette façon.

Parce qu’il a l’air de ne pas savoir exactement comment
raconter son histoire, on ne peut pas le croire et lui faire confiance.

Nathanaël Parce qu’il est fou, il souffre d’un dédoublement
de la personnalité et peut parler de lui-même à la 3e personne.
Parce qu’il parle de Nathanaël comme d’une autre personne.
Clara   On ne peut pas se faire de doux regard.
Lothaire   Il a confié les lettres aux narrateurs.
La mère de Nathanaël   Parce qu’elle ne parlerait pas de son fils de cette façon.
Coppélius Parce que le narrateur a l’air bizarre lui-aussi.
Il peut dire qu’il est l’ami de Nathanaël pour mieux nous
surprendre.
 
Coppola Parce que Coppola est peut-être vraiment un ami de Nathanaël  
Spallanzani Parce que le narrateur a l’air d’être un personnage important de l’histoire.  
Olimpia Parce que ce serait vraiment inquiétant que le narrateur soit un automate (!) Parce que le narrateur ne peut pas être une poupée.
Sigismond Parce qu’il a un rôle important dans l’histoire.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 En conclusion de l’étude de ce passage, on proposera aux élèves de réfléchir aux choix stylistiques d’Hoffmann en choisissant parmi les incipits proposés, celui qu’ils préfèrent. On mesurera ainsi avec eux l’importance de la stratégie narrative dans l’élaboration du sentiment de fantastique, tout en montrant la profonde originalité d’Hoffmann. Du point de vue de l’histoire, on rappellera l’annonce du retour de Nathanaël parmi les siens.

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Étape n° 4 : le poème de Nathanaël ou les obsessions d’un homme possédé

Lire extrait en ligne sur le site des Parcours littéraires européens : « Enfin, Nathanaël nourrissant toujours la pensée [. . .] d’images horribles et de pressentiments funestes à leur amour. » (p. 26)

Cette séance développée s’intègre parfaitement aux programmes de 4e. Son étude est aussi prévue pour les bacs professionnels dans le cadre de la séance 5 (cf. séquence des bacs pros)

Problématique : dans quelle mesure ce poème est-il révélateur de la folie de Nathanaël et annonciateur d’un dénouement tragique ?

Objectifs :

- Appréhender la notion de mise en abyme

- Analyser la dimension cauchemardesque et obsessionnelle du poème

- Souligner la dimension prémonitoire du poème

 
Modalités de travail : préparation individuelle puis cours dialogué

Avant de lire le passage :
Nathanaël rédige ce poème peu de temps après son retour à la maison. Dans quel état d’esprit se trouve-t-il à ce moment là ? Que lui reproche Clara ?

1. Une histoire dans l’histoire

- Pourquoi peut-on parler « d’histoire dans l’histoire » ? Repérez les étapes de cette histoire.
- Montrez que l’histoire imaginée par Nathanaël s’apparente à un cauchemar.
- Après avoir détaillé le contenu du poème, le narrateur revient sur le travail d’écriture. En quoi cela consiste-t-il ? Quels sont les termes qui renvoient au genre poétique ?

Dans cet extrait, le narrateur nous rapporte le contenu d’un poème dont Nathanaël est l’auteur. Il y a donc un récit qui prend place au sein de l’intrigue principale. Ce procédé de mise en abyme concourt d’une part à illustrer l’imagination délirante de Nathanaël et d’autre part à fournir au lecteur la piste d’un possible dénouement. Il entretient ainsi le doute, l’ambiguité inhérents au genre fantastique. Notons par ailleurs qu’à l’instar du récit principal, le poème de Nathanaël présente les caractéristiques du fantastique.

Trois étapes sont repérables dans cet autre récit : Nathanaël s’éprend de Clara, Coppélius s’impose dans leur existence, Coppélius sème l’effroi et l’horreur lors de leur mariage. Les deux premières étapes du poème sont conformes à la situation de Nathanaël dans le récit principal. À l’inverse, la troisième étape, qui s’apparente à une succession de visions apocalyptiques, reprend en les déformant et en les amplifiant des éléments du récit principal.

Nathanaël continue à être hanté par la figure de Coppélius. Plusieurs éléments permettent d’assimiler son récit à un cauchemar : une succession de visions, de situations ont pour caractéristiques communes l’horreur et l’épouvante : « le jetait dans un cercle de feu », « gémissements, cris », « c’était la mort décharnée qui le regardait en face ». Des images hyperboliques sont la traduction des angoisses du narrateur, angoisses qui sont propres à tout cauchemar. Enfin, la réaction de Nathanaël à la relecture du poème souligne la dimension cauchemardesque de celui-ci et peut être assimilée à la peur qui réveille un dormeur torturé.

Après avoir relaté le contenu du poème , le narrateur aborde le travail de composition de Nathanaël écrivain. Il indique que celui-ci « lima et améliora chaque vers », ce qui rappelle la difficulté et la complexité de l’acte d’écriture. Nous retrouvons ici l’intérêt d’Hoffmann pour la problématique de l’écriture comme lors de la prise de parole du narrateur au début du chapitre 4. Plusieurs termes renvoient plus spécifiquement à l’écriture poétique : « vers », « formes métriques », « pur et harmonieux », « stances ».


2. Un poème empreint du spectre de Coppélius

- Le poème n’apparaît pas dans sa forme originale. Quelle liberté cela donne-t-il au narrateur ?
- Comment le narrateur justifie le rôle central que joue Coppélius dans le poème ?
- Quelles obsessions refont surface au moment de l’apparition de Coppélius ?
- Qu’est-ce qui caractérise les propos de Clara dans le poème ? Quels effets ont-ils sur Nathanaël ?

Le narrateur ne rapporte pas le poème dans sa forme originale mais en donne une lecture subjective. Ainsi, il passe rapidement sur le début du récit pour s’attarder sur la scène d’épouvante et d’horreur qui est révélatrice des visions délirantes de Nathanaël et dont les conséquences sont importantes sur les événements à venir (colère de Clara, duel avec Lothaire, dimension prémonitoire).

Le narrateur rappelle au début de l’extrait que Nathanaël demeure hanté par le personnage de Coppélius : « Enfin, Nathanaël nourissant toujours la pensée que Coppélius devait troubler sa vie ». Figure centrale du poème, Coppélius est associé, dans l’imaginaire du personnage, aux thèmes du regard, des yeux et du feu. Ainsi Coppélius « touchait les yeux charmants de Clara » qui déclare ensuite « J’ai mes yeux, regarde-moi ! ». De même, les références au feu sont multiples : « deux charbons ardents », « le jetait dans un cercle de feu », « brûlaient dans ton sein », « gouttes bouillantes », « le cercle de feu cessa de tourner ».

Clara apparaît dans le poème telle que nous la connaissons déjà. Elle adopte une position rationnelle face aux événements rapportés par Nathanaël. De même que dans sa lettre à Nathanaël elle défend la thèse de la mort accidentelle du père, elle rejette les visions horribles de Nathanaël et propose une interprétation plus sage : « Coppélius t’a abusé, ce n’étaient pas mes yeux qui brûlaient dans ton sein, c’étaient les gouttes bouillantes de ton propre sang pris au cœur ». Pas plus que dans la réalité, Nathanaël ne se laisse convaincre par ces explications. Il demeure hanté par le spectre de la mort « qui le regardait d’un air amical avec les yeux de Clara ».

3. Un écrit prémonitoire ?

- À la fin du passage, quel terme laisse à penser que les faits imaginés par Nathanaël pourraient devenir réalité ?
- Quelle scène du conte semble effectivement très proche des visions cauchemardesques de Nathanaël ? Quels éléments précis pouvez-vous rapprocher ?

En utilisant l’expression « pressentiment funeste », le narrateur suggère que ce poème en forme de cauchemar pourrait bien devenir réalité. Cette inclinaison qu’a Nathanaël à faire de sombres présages est d’ailleurs soulignée dès son retour à la maison paternelle, peu avant la composition du poème : « La vie pour lui n’était plus que rêves et pressentiments ». Petit à petit, plusieurs pistes s’offrent donc au lecteur, dont celle d’un dénouement conforme aux « sombres rêveries » de Nathanaël.

Puisque certains passages du poème font écho à des événements évoqués au début du récit (Coppélius voulant jeter Nathanaël enfant dans le feu), le lecteur peut légitimement s’attendre à ce que d’autres scènes du poème soient annonciatrices d’événements à venir. Il en va ainsi des yeux  de Clara qui « s’élancent » dans le sein de Nathanaël. On retrouve à la fin du chapitre VII une scène à la ressemblance troublante (il s’agit alors des yeux d’Olimpia) : «  une paire d’yeux sanglants (…) le regardaient fixement. Spalanzani les saisit et les lui lança si vivement qu’ils vinrent frapper sa poitrine ». On voit donc se confirmer à la fin du récit le caractère prémonitoire des événements rapportés par Nathanaël dans son poème.

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Étape n° 5 : la visite de Coppola

Cette séance développée convient plus particulièrement aux classes de 4e.

Problématique : en quoi peut-on parler « d’horreur de répétition » à propos de ce chapitre ?

Objectifs :
- Mobiliser le travail déjà effectué sur le texte pour comprendre ce chapitre
- Permettre aux élèves d’émettre des hypothèses de lecture

Modalités de travail :
Dresser en classe la situation de ce chapitre dans le conte.
Lecture du texte en classe.
Cours dialogué pour l’explication du chapitre.
Travail individuel à la maison : préparer le storyboard qui permettrait de filmer le chapitre V

1. Le retour de l’identique

Ce chapitre est peut-être celui qui justifie le plus la lecture freudienne de l’œuvre. Sans entrer totalement dans les détails (en particulier pour des 4e), il est intéressant de montrer aux élèves comment le texte, à la façon de Nathanaël qui revit sans scène la même terreur enfantine, revient sans cesse sur les mêmes motifs.

Alors que la mort du père était placée sous le signe du feu (coup de feu, vapeur étouffante sortant de l’âtre dans la pièce), le chapitre V s’ouvre sur un incendie ayant éclaté dans le laboratoire d’un chimiste. On montrera aux élèves l’intérêt de cette notation anecdotique qui ancre l’idée que le père se livrait lui-aussi à des expériences chimiques ou alchimiques. Ce hasard (qui n’en est pas un si l’on se remémore toute l’importance que Nathanaël accorde à la prédestination) conduit Nathanaël à s’installer « vis-à-vis du professeur Spalanzani ».

Deuxième retour de l’identique, Olimpia, qu’il distingue mal, est « dans la même position, telle qu’il l’avait entrevue un jour à travers la porte de glace […]. ». On remarque que Nathanaël est sensible à la taille d’Olimpia :

« Nathanaël s’avouait qu’il n’avait jamais vu une si belle taille ». Or c’est précisément la taille de Clara qui était mise en valeur dans son portrait « […] cependant les architectes louaient la pureté des lignes de sa taille. ».

Olimpia est donc indirectement présentée comme un double de Clara. Un double qui va d’ailleurs très rapidement prendre la place de l’original.

Nathanaël écrit à Clara, comme au début du conte. C’est alors que le troisième retour de l’identique se met en place avec l’irruption de Coppola, qui revient dans la chambre de Nathanaël. Cette fois-ci Nathanaël ne menace pas de le précipiter dans les escaliers mais le renvoie avec douceur : « Je n’achète point de baromètres, mon cher ami, lui dit-il. Allez et laissez-moi seul. ».

Coppola, qui comme Coppélius rit d’une façon bruyante (voir p.16, 29 et 30 éd. Librio), tente de vendre des lunettes puis des lorgnettes à Nathanaël, qui finit par lui en acheter une.

2. Une scène d’horreur

Le moment de la vente est celui où s’exprime le plus nettement l’angoisse de la castration, déjà présente lorsque Coppélius avait dans l’enfance jeté des charbons ardents sur la poitrine d’un Nathanaël effrayé. Se joue alors une scène d’horreur qui est également la répétition de la scène de traumatisme enfantin. Nathanaël, qui a gardé en tête les assurances de Clara et de Spalanzani concernant la non identité de Coppélius et de Coppola, perd son sang froid, lorsque Coppola lui propose des « youx, des zolis youx ». Ce retour majeur du thème des yeux, provoque un accès de folie, qu’il est intéressant de faire visualiser par les élèves (en leur proposant par exemple de dessiner la scène). L’accumulation des lunettes sur la table provoque un premier sentiment d’angoisse. L’opticien apparaît en effet comme un personnage démoniaque capable de multiplier les objets angoissants. Cette angoisse est renforcée par la douleur qui naît des rayons filtrés par les verres, qui dardent Nathanaël. La phrase qui suit est particulièrement éloquente :

Des milliers d’yeux semblaient darder des regards flamboyants sur Nathanaël ; mais il ne pouvait détourner les siens de la table ; Coppola ne cessait d’y amonceler des lunettes, et ces regards devenant de plus en plus innombrables, étincelaient toujours davantage et formaient comme un faisceau de rayons sanglants qui venaient se perdre sur la poitrine de Nathanaël.

La terreur de Nathanaël se manifeste dans un cri « Arrête, arrête, homme terrible ! lui cria-t-il ? ». Là encore, comme cela lui était déjà arrivé pour l’homme aux sables, Nathanaël prend la métaphore au pied de la lettre. De même que l’homme aux sables était devenu un monstre réel, les lunettes sont devenues des yeux. Lorsque l’objet de confusion disparaît le délire prend fin, en apparence du moins.

« Dès que les lunettes eurent disparu, Nathanaël redevint calme, et songeant à Clara, il se persuada que toutes ces apparitions naissaient de son cerveau. »

On pourrait presque dire que le fantastique est repoussé par sa victime.

3. L’amour par le trou de la lorgnette

Après ce grand moment d’angoisse, Nathanaël achète une lorgnette à Coppola. Cette lorgnette est l’occasion de découvrir pour la première fois Olimpia, dont les yeux jusque là mort s’animent pour la première fois sous le regard attentif de Nathanaël. Après avoir payé Coppola, il s’abîme dans la contemplation d’Olimpia, jusqu’à ce que Sigismond, son camarade d’étude ne vienne le chercher. Les trois jours qui suivent l’objet du désir nouvellement aperçu, disparaît de sa vue le mettant au désespoir.

On s’attachera ici à exposer aux élèves le scénario spécifique à l’amour chez Hoffmann tel que le décrit Peter von Matt  dans son étude consacrée à la « trahison amoureuse » (Peter von Matt, Liebesverrat. Die Treulosen in der Literatur, Carl Hanser Verlag, München, 1989), citée par Philippe Forget dans sa présentation du tome 2 des Tableaux nocturnes.

Le héros, un être qui tend aux extases fantastiques et aux hallucinations sans être familier de cette disposition qui est la sienne et qui ne se rend guère compte que tout en lui le presse de donner forme artistique à ces violentes visions, ce héros donc a une relation amoureuse avec une brave petite bourgeoise. Elle cuisine bien, sait tricoter et ne demanderait qu’à devenir la mère heureuse de vivre d’enfants non moins heureux de vivre. Mais voilà que les visions font de plus en plus fortement irruption dans le quotidien du héros. Il les prend tout d’abord pour les manifestations de puissances démoniaques et ne saisit pas que c’est le potentiel de ses propres forces créatrices inutilisées qui ne cesse de se présenter à ses yeux de façon tantôt folle, tantôt radieuse. Un jour, ces visions se cristallisent pour produire l’image d’une femme. Et c’est là que la situation de départ du héros hoffmannien trouve la dynamique qui lui est propre. Commence alors un processus dramatique. Le héros tombe amoureux de la vision et recherche cet être désespérément. L’apparition ne cesse de se montrer et de se dérober à lui de multiples façons. La chasse amoureuse prend la forme correspondante, et la relation avec la brave petite bourgeoise, le tour critique correspondant. A la fin, on est sûr d’assister à sa trahison ainsi qu’à la rupture sans appel avec une femme qui ne saisit ni ne comprend ce qui est entre-temps devenu pour le héros le but suprême de la vie.

On insistera en particulier sur le caractère d’anticipation des paroles de Clara avant le duel :

« – Ah ! s’

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