Le Voyage dans le passé
Stefan ZWEIG
Niveaux conseillés : 2nde, 1ère
Brève et de lecture simple et enlevée, cette nouvelle de Zweig convient aux classes de secondes ou de premières, quel que soit leur niveau.
En seconde, elle s‘inscrit parfaitement dans le cadre de l‘objet d‘étude : « Le roman et la nouvelle » et peut trés bien s‘insérer dans une séquence de début d‘année permettant une remise au point sur un certain nombre de notions importantes (structure du récit, narration, temps et personnages ...)
Elle peut également, et bien évidemment, faire l‘objet d‘une lecture d‘une œuvre intégrale.
En 1ère, l‘œuvre s‘inscrit particulièrement bien dans l‘objet d‘étude consacré au « roman et ses personnages : visions de l‘homme et du monde ».
Elle peut également témoigner du phénomène d‘intertextualité, et s‘inscrire - un peu en marge cependant - dans une séquence s‘intéressant aux réécritures.

Présentation

L’auteur

La vie de Stefan Zweig appartient à un moment très particulier de l’histoire européenne, qui s’enracine dans une Europe centrale dont Vienne sera une bouillonnante capitale avant que les bouleversements historiques et la montée des nationalismes ne viennent refermer cette parenthèse de culture et de dialogue intellectuel par-delà les frontières.

Grand voyageur, érudit à la vaste culture, parlant plusieurs langues, pétri d’échanges constants avec ce que l’Europe compte alors d’intellectuels, Stefan Zweig, étranger à l’étroitesse des vues nationalistes, sera profondément ébranlé par ces bouleversements – guerres mondiales, montée du nazisme – qui le conduiront à l’exil puis au suicide.

L’enfance

Né en 1881 à Vienne, capitale de ce qui est encore l’Empire d’Autriche-Hongrie, Stefan Zweig a pour parents, Moritz Zweig, commerçant qui fera fortune dans les tissus et Ida Brettauer, issue d’une riche famille marquée par le cosmopolitisme. Le couple appartient à la bourgeoisie juive émancipée et les enfants ne fréquentent pas la synagogue. Le jeune Stefan, en revanche, fréquente l’école qu’il subit comme un bagne. L’autoritarisme  et le conformisme qui y règnent (et propres à l’époque de l’empereur François-Joseph) n’incitent en effet que peu à la créativité. Le jeune homme s’émancipera cependant rapidement de cet univers pesant où les conventions sont reines, notamment au travers de ses études de lettres et de philosophie, qui lui permettent de s’installer à Berlin en 1901. Il y vit, le temps d’un semestre, un apprentissage de «la vie réelle».

Les débuts littéraires et l’écrivain à succès

Rapidement, les débuts sont prometteurs, avec, dès 19 ans, un premier recueil de poésie (Les Cordes d’argent) et surtout des publications régulières pour Le Feuilleton, publication dirigée par Theodor Herzl. Ce sont cependant surtout les années 20 qui vont ouvrir à l’auteur la voie du succès avec la publication, en 1922, du recueil Amok (comportant la nouvelle du même nom). Plongeant dans les méandres de l’âme humaine (à Vienne, Sigmund Freud – qui est son ami – révolutionne la pensée avec l’hypothèse de l’inconscient), habile à saisir les destins au moment où tout bascule, Stefan Zweig s’impose comme un auteur majeur de l’époque, dont les œuvres, lues et traduites à grande échelle, suscitent souvent des adaptations cinématographiques, et ce du vivant-même de l’auteur.

C’est la forme courte qu’il affectionne – recueil de nouvelles, courts romans – qui lui offre la renommée (à l’époque comme aujourd’hui, d’ailleurs). Les traductions sont innombrables (Isabelle Hausser dans son texte « Stefan Zweig  et le monde d’hier » souligne que lorsque Insel Verlag publia sa bibliographie dans toutes les langues, il fallut un volume entier pour citer tous les titres !)
Citons, ainsi, à côté d’Amok, la Lettre d’une inconnue (1922) et La confusion des sentiments (1927), qui connurent des succès retentissants.

Pendant l’entre-deux guerres, Zweig publie beaucoup, et de manière très régulière, ce dont témoigne l’importance de sa bibliographie (voir partie ressources). Si les années 20 sont celles du succès littéraire, elles sont aussi celles du mariage avec Friderike von Winternitz, qui tiendra un grand rôle dans la vie de l’auteur, qu’elle épaule largement en facilitant son activité créatrice, et ce jusqu’à la fin de sa vie (et en dépit des infidélités fréquentes de son mari puis de leur séparation).

Le voyageur, l’homme de culture et le traducteur

Bien avant que ses nombreux succès littéraires ne contribuent à lui faire parcourir l’Europe, Zweig fut un voyageur invétéré. Il sillonna ainsi l’Europe, l’Amérique et l’Asie, pour son travail, aussi bien que pour ses recherches, son plaisir personnel et un certain désir de fuite perpétuel.

Ce faisant, il rencontra un grand nombre d’écrivains et d’artistes avec lesquels il se lia parfois d’amitié très profonde. Emile Verhaeren, Romain Rolland figurent au premier plan des affinités électives de l’auteur, qui contribuera à les faire connaître outre-Rhin, notamment en les traduisant. Zweig ne sera d’ailleurs pas totalement étranger à l’attribution du Prix Nobel de littérature à l’écrivain français, grand pacifiste, en 1915. L’impressionnante correspondance avec celui-ci témoigne aussi de la profondeur des relations qui ont uni les deux hommes, même si la neutralité de Zweig en matière d’engagement et de politique eut pour effet de refroidir parfois ces liens.

Outre ces rencontres essentielles, Stefan Zweig a également entretenu des relations avec Sigmund Freud, Max Brod ou Richard Strauss (dont il fut le librettiste) ; a côtoyé Rodin, Rilke ou encore Pierre-Jean Jouve et Bernanos…
Erudit,  l’auteur est pétri d’une culture profondément cosmopolite qui rayonnera durant une courte période dans cette Europe centrale dont Vienne abritera la riche ébullition au début du siècle (Malher, Klimt, Schniztler, Freud… vivront tous avec Zweig dans la Capitale) avant l’arrivée de la Première Guerre mondiale. Ces différentes rencontres, l’ampleur de sa culturel et l’atmosphère créatrice dans laquelle Zweig a évolué forgèrent un tempérament profondément européen, dont la communauté d’esprit allait bien au-delà des frontières. Homme d’échange, Zweig fut aussi un passeur. Outre ses traductions nombreuses (et notamment Verlaine, Baudelaire et Verhaeren), il fut également un essayiste à l’œuvre considérable dont les biographies reflètent ses goûts et ses préoccupations, ainsi celles qu’il consacre à Montaigne et Erasme, dont la pensée humaniste  parle à l’auteur, et avec lesquels il engage  comme un dialogue posthume, à l’heure où son propre monde s’effondre.
 
La faillite de la civilisation

Les bouleversements historiques que l’Europe est appelé à vivre frappent très rudement Stefan Zweig. Il y a tout d’abord le choc de la Première Guerre mondiale qui va entraîner la mort de l’Empire austro-Hongrois. Inapte au front, Zweig est enrôlé dans les services de propagande. Il ne voit la guerre que « de loin », jusqu’au moment où il est envoyé sur le front polonais. Cependant, la Première Guerre mondiale n’affecte que peu l’auteur en regard de l’effondrement  de toutes les valeurs qui lui sont chères et que la montée de l’idéologie nationale-socialiste, l’antisémitisme et la Seconde Guerre mondiale vont balayer d’un revers de main.

Zweig , individualiste réticent à tout engagement et se méfiant de toute prise de position, mit du temps à comprendre la nature véritable du nazisme  mais un certain nombre d’événements découvrirent à l’auteur le danger qui se profilait. Le 10 mai 1933, ses œuvres sont publiquement brûlées à Berlin ; plus tard, c’est le film tiré de son œuvre Brûlant secret qui provoqua la colère du pouvoir, avant que La Femme silencieuse, l’opéra de Strauss dont il avait rédigé le livret, ne soit interdit de représentation.

« Une infinité de choses se sont éteintes en moi »

Stefan Zweig comprend alors qu’il ne peut demeurer en Autriche, il part d’abord pour Londres, en 1933, au départ pour un travail de recherches sur Marie Stuart, à laquelle il consacre une biographie. C’est durant cette période que Zweig va rencontrer celle qui deviendra sa seconde femme, Charlotte Altmann (dite Lotte).  Si dans les premiers temps de son installation à Londres, Stefan Zweig continue à voyager et à effectuer de fréquents  aller retours entre l’Angleterre et l’Autriche, l’Anschluss de 1938 va transformer le séjour en exil définitif, la disparition de son pays le laissant sans nationalité. L’idée de quitter l’Europe, déjà bien présente chez Zweig, se concrétise lorsque l’Allemagne envahit la France. Lotte et lui s’embarquent pour les Etats-Unis, avec pour but de séjourner au Brésil, pays que Zweig a visité en 1936 et dont il garde un excellent souvenir. Même en ces temps difficiles, le succès de Zweig ne se dément pas et il effectue une série de conférences triomphales en Argentine qui lui octroie une situation financière confortable.

Cependant, la tourmente politique dans laquelle le monde est lancé, la ruine de l’idée d’Europe telle qu’il l’a rêvée affectent profondément un écrivain de nature pessimiste, éternel insatisfait et toujours en proie au doute. Peu de temps après la chute de Singapour aux mains des Japonais, lui-même et Lotte se suicident le 22 février 1942, à Pétropolis.  L’auteur laisse un grand nombre de textes inédits, qui seront publiés de manière posthume, parmi eux, l’autobiographie Le Monde d’hier, comme un testament, une lettre d’adieu à un monde enfui.

L’œuvre

Le Voyage dans le passé possède l’aura mystérieuse des manuscrits retrouvés : parue sous forme de fragment en 1929, l’œuvre complète  ne sera connue que bien plus tard,  lorsque l’on en aura retrouvé le tapuscrit annoté par Zweig et que cette découverte donnera lieu, en 1976, à une première publication allemande sous le titre : Widerstand der Wirklichkeit (la résistance du réel, ou, pourrait-on dire, « à l’épreuve de la réalité »).
Ce n’est donc que tardivement – en regard de cette publication de 1976 – que le récit sera traduit en France par Baptiste Touverey (Stock, 2008), alors que la presque totalité des œuvres de Stefan Zweig se voit rééditée par le Livre de Poche à partir des années 1990.

L’intrigue est simple et très représentative des textes de Zweig qui saisissent souvent des destins au moment où tout bascule. 
Un homme, une femme. Lui, Louis, jeune et fragile encore des humiliations qu’une basse condition peut faire naître. Elle, radieuse, inaccessible, douce lumière qui va éclairer sa vie… C’est sans compter que la rencontre ne peut se placer que sous le signe de l’impossibilité : elle est la femme du conseiller G, dont le jeune homme est le bras droit. Surtout, ce dernier, brûlant de quitter enfin sa  position de subalterne va accepter un poste à la hauteur de ses ambitions… mais nécessitant de s’installer deux ans au Mexique. Le temps de dire oui, et c’est la révélation d’un amour couvant depuis longtemps qui éclate. Baisers volés, frénésie, urgence. Les peaux se touchent, et, avant le départ, une promesse est arrachée : celle de se donner au retour du Mexique.
Mais l’Histoire ne l’entend pas ainsi, et la Première Guerre mondiale vient séparer les amants à venir, tout comme le quotidien qui se construit tout au long des deux années qui muent peu à peu en cinq, six, neuf…

Pourtant, une fois la guerre terminée, une correspondance reprend, une visite s’ébauche, avec le désir d’abolir le temps, de retrouver le temps passé…  Mais l’amour et l’imagination résistent-ils à l’épreuve de la réalité ?

Les thèmes

On retrouve dans cette nouvelle de Zweig nombre de thèmes chers à l’auteur, tout d’abord, celui, bien sûr de l’amour, et avant tout de l’amour impossible (l’amour ne saurait se concevoir sans l’obstacle qui lui est inhérent). L’attention apportée à la psychologie des personnages se lit, comme souvent chez Zweig, dans les lignes de faille, l’auteur n’aimant rien plus que saisir ceux-ci au moment où tout bascule, lorsque le destin vient narguer les uns et les autres.

Comme dans nombre de ses nouvelles aussi, on trouve une action dense, ramassée sur elle-même qui accentue un certain tragique. Le contexte historique qui sert de toile de fond, et notamment le succès grandissant du national-socialisme, contribuent à cette atmosphère et rappelle que le texte a lui-même été écrit à un moment où les bruits de bottes commençaient à se faire entendre. 
De par sa facilité d’accès et les thèmes abordés – importance du temps et des lieux, irruption de l’Histoire comme forme de destin – la nouvelle se prête admirablement à une séquence de début d’année, particulièrement en seconde, où elle permet de faire le point sur un certain nombre de notions (narration, focalisation et personnages, importance de la description etc…)

La question des modèles littéraires (et de leurs réminiscences) est également particulièrement intéressante, tant ce court texte et les personnages qu’il met en scène semblent pétris de modèles antérieurs. Que ce soit la silhouette féminine évoquant Mme Arnoux, Louis, le jeune ambitieux amoureux aux allures de Julien Sorel ou encore les échos de Verlaine venant clore la nouvelle, tout nous rappelle la grande culture de Zweig, lui-même traducteur, pétri, non seulement d’humanisme, mais de tout un patrimoine littéraire européen.   

On notera également qu’en classe de seconde (et même première), la courte nouvelle pourrait s’insérer – ou donner lieu – à une réflexion sur le monde éditorial, la position si particulière du texte (voir ci-dessus) et de l’auteur à succès pouvant servir d’illustration à certains mécanismes du monde de l’édition : (pourquoi publie-t-on ? A quelle occasion ? Pourquoi un texte connu depuis 1976 en Allemagne n’est-il traduit que maintenant en France ? La « Zweigmania » est-elle toujours vivante…)
 

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