Avant-propos
Que reçoit-on de la littérature ? Que veulent d’abord transmettre à leurs élèves, par le truchement des textes littéraires, les professeurs de Lettres des collèges et des lycées ? Selon qu’on apportera à ces questions telle ou telle réponse, on n’accordera pas le même statut à la connaissance des repères mythologiques, religieux, spirituels – plus ou moins travestis – qui jalonnent forcément un parcours de culture littéraire du second degré.
Si l’on replie l’enseignement des Lettres sur la connaissance des genres et des registres, sur l’évolution des théories narratives et sur la mise en ordre des mouvements culturels, on pourra considérer ces repères comme secondaires – spécieux déguisements de la psyché collective, sans poids devant la toute puissance de la raison critique des sciences du langage.
Mais si, comme le suggérait le psychanalyste André Green (in La déliaison, Psychanalyse, anthropologie et littérature, p. 51, éd. Hachette littératures, coll. Pluriel, Paris, 1998), on considère que l’approche et l’analyse des textes littéraires ont pour objet premier de « rechercher les ressorts de l’effet du texte sur le lecteur potentiel », alors l’insistance sur les matrices symboliques dont ces textes sont issus – et jusqu’aux traces qu’elles déposent dans l’inconscient des écrivains et des lecteurs – deviendra une préoccupation centrale pour le transmetteur.
Ces motifs matriciels, engendreurs de récits, nourriciers des formes, puisent – pour ce qui nous occupe encore quelque peu, la littérature française – à deux sources principales : Athènes et Jérusalem. Ils émergent de deux corpus géants, déjà littéraires : la Bible et la littérature gréco-romaine de l’Antiquité. Référents majeurs que nos professeurs connaissent, bien sûr, mais parfois trop partiellement ou superficiellement. Ainsi en va-t-il en tout cas pour le corpus biblique. Les raisons de cette semi ignorance sont connues, et ont été analysées ailleurs.
Parions plutôt sur le retour victorieux du refoulé.
Inaugurer une collection en ligne dont l’objectif est de sensibiliser les enseignants de Lettres à l’influence des récits fondateurs sur la littérature française avec la figure de Lazare, c’est bien faire fond sur le dévoilement de ce qui fut enfoui. Occulté. Endormi dans la mort, comme le frère de Marthe et de Marie.
Au grand jeu de fouille qui s’ensuivra dans la malle aux trésors de nos matrices d’humanité devraient surgir – ont déjà surgi – des silhouettes anciennes, parfois oubliées, si mal connues : Abel et Caïn, Salomé, Esther, Marie de Magdala.
Viendront peut-être les rejoindre – auprès des vieilles connaissances que sont d’autres héros, comme Antigone et son trop célèbre père – les patriarches et les prophètes, moins fréquentés par les lecteurs modernes. Mais aussi quelques décors mythiques, à revisiter d’urgence : jardins d’Éden, fleuves infernaux, cités maudites ou célestes; Plus subliminaux encore, les méandres archétypiques de l’amour, de la haine ou de la parenté, les interdits et les mystères qui, mis en mots par le génie des textes fondateurs, hantent la littérature et font d’elle une magistrale école d’humanité.
Sans préjuger d’un programme à venir qui ne peut qu’être stimulant, rendons hommage à l’initiative du CRDP de Paris – et en particulier à Nunzio Casalaspro, qui a conçu, réalisé et mis en forme les dossiers de la collection, offrant ainsi aux enseignants de Lettres un échantillon précieux de motifs symboliques fondamentaux ayant irrigué le patrimoine littéraire. Lisibles, élégants, parfaitement documentés, enrichis par la référence toujours pertinente aux œuvres d’art, ces dossiers – qu’il est possible de consulter également sur le site des Lettres de l’Académie de Paris – seront au nombre des excellents outils permettant non seulement de nourrir l’analyse littéraire dans le cadre des enseignements officiels mais aussi de vivifier nos lectures personnelles autant que professionnelles.
Gageons que la curiosité et la gourmandise des professeurs et des élèves seront largement satisfaites par les propositions futures de la collection, et souhaitons aux utilisateurs de devenir à leur tour chasseurs de symboles en retournant à la lecture assidue et attentive des mythes d’origine et des récits primordiaux puis en s’attelant à la tâche patiente et subtile de l’interprétation, tels des tisserands de l’esprit.
Evelyne Martini, Inspectrice d’Académie – Inspectrice pédagogique régionale de Lettres