L’auteur
Pierre-Ambroise-François Choderlos de Laclos est né à Amiens le 18 octobre 1741, sous le règne de Louis XV et mourra à Tarente le 5 septembre 1803.
D’une famille d’officiers royaux de noblesse récente, Choderlos de Laclos est véritablement un enfant du siècle des Lumières, siècle qui conduira à la Révolution française, qu’il traverse presque sans encombres, tout en étant lui-même intéressé par les réflexions politiques liées aux questions de gouvernance (de soi même ou de l’Etat).
S’il est avant tout connu pour son chef d’œuvre, Les Liaisons dangereuses, c’est pourtant par la carrière militaire que débute Choderlos de Laclos.
Il est nommé sous-lieutenant en 1761, à 20 ans, puis lieutenant en second en 1762. Il rêve de conquêtes et de gloire et se fait affecter à la Brigade des colonies, à La Rochelle. Malheureusement, ce n’est que la vie de garnison qu’il découvre, vie qu’il suivra jusqu’en 1778, se déplaçant dans de multiples villes (Toul, Strasbourg, Grenoble, Besançon…).
C’est probablement à Besançon, d’ailleurs, que ce fervent admirateur de Rousseau (et plus particulièrement de La Nouvelle Héloïse – « le plus beau des ouvrages produits sous le titre de roman » -, auquel il est souvent fait référence dans Les Liaisons) commence la rédaction de ce qui va devenir son chef d’œuvre, pour se désennuyer d’une vie au quotidien souvent maussade.
Ce qui est sûr, c’est qu’en 1781, il demande l’autorisation de publier le roman. En 1782, il signe un contrat pour la publication en 2000 exemplaires des Liaisons dangereuses. Le succès – notamment dû au scandale – est immédiat et une nouvelle édition est aussitôt nécessaire (d’autres suivront). Laclos entame alors une correspondance avec Mme Riccoboni sur ses choix esthétiques et la moralité de son œuvre.
Dans le même temps, il rencontre Marie-Soulange Duperré, jeune fille de 24 ans avec laquelle il noue une relation et dont il aura un fils en 1784. Choderlos de Laclos le reconnaîtra et épousera Marie-Soulange en 1786, légalisant ainsi leur union. Une correspondance importante existe également entre l’auteur et sa femme.
Les femmes, et la réflexion sur leur éducation sont importantes chez Laclos. En 1783, celui-ci répond à une question posée par l’académie de Châlons-sur-Marne, sur les moyens de perfectionner l’éducation des femmes. Son Discours restera inachevé, mais il reviendra sur la question et publiera un ensemble de trois essais : « Des femmes ou De l’éducation ».
L’importance du thème est, bien sûr, lisible dans Les Liaisons dangereuses, que ce soit au travers de la jeune Cécile Volanges – à laquelle le Couvent n’a rien appris sinon à être une proie facile pour des libertins autrement plus forts d’esprit – ou, bien sûr, de la Marquise de Merteuil, femme « de tête », qui s’est forgée elle-même, au contact de ses lectures et de son observation du monde.
Politiquement, Laclos, en digne fils des Lumières, opte pour une monarchie éclairée et la nécessité de réformes. Il se met au service du Duc d’Orléans (Philippe-Egalité) qui est favorable à l’abolition des privilèges. En 1790, il devient membre du Club des Jacobins et écrit dans le Journal des amis de la Constitution. Il défend une monarchie constitutionnelle où le roi gouverne avec des ministres élus démocratiquement.
En 1793, alors que le Comité de sûreté général commence à instituer la Terreur, il est arrêté pour ses convictions orléanistes mais il est finalement libéré en 1794 (le duc d’Orléans est, lui, exécuté en 1793).
La Révolution aura finalement laissé indemne Laclos, qui soutiendra ensuite une autre figure militaire d’envergure, appelé à un destin impérial : le jeune général Bonaparte. Laclos lui conservera son admiration jusqu’à sa mort, qui survient en Italie, à Tarente, en 1803.
L’œuvre
« Le roman le plus intelligent » ; « le plus effroyablement pervers de tous les livres » : les superlatifs ne manquent pas pour définir le livre de Choderlos de Laclos, qui a connu un succès jamais démenti, que celui-ci soit dû au scandale et à sa réputation sulfureuse (ainsi à sa parution) ou, plus justement, à son incroyable maîtrise, et sa terrible actualité, ce dont témoigne, notamment l’importance des adaptations (et transpositions) cinématographiques qui lui sont consacrées.
Alors que les précédents écrits de Choderlos de Laclos n’avaient rien de proprement marquant, Les Liaisons dangereuses signent, elles, une réussite éclatante. Réussite, tout d’abord, au niveau formel : Laclos tire profit de toutes les finesses du roman épistolaire pour faire de son ouvrage une merveille de machiavélisme, tout en sachant rendre sensible, au travers du style, les personnalités de chacun. Cette magnifique polyphonie, sans recours à aucun narrateur, maîtrise « juste » l’art de l’agencement. Choderlos de Laclos met en branle un piège magnifique, qui prend le lecteur dans son jeu.
Réussite formelle, certes, mais également réussite éclatante liée à la force des personnages et à la profondeur des thèmes traités : Les Liaisons dangereuses ne cessent de faire naître le débat, de susciter l’admiration, l’effroi, la stupeur. Profondément ancré dans le contexte intellectuel et philosophique des Lumières, l’ouvrage plonge au cœur des rapports de pouvoir, des relations entre raison, émotion et sentiment, continuant encore à fasciner le lecteur contemporain.
L’inscription de ce chef-d’œuvre, cette année, au programme du baccalauréat suffit à le prouver.
Les thèmes
La richesse et la complexité des Liaisons dangereuses en font un roman qui foisonne d’objets d’étude passionnants.
L’étude de la stratégie épistolaire en est un des plus marquants : reprenant le modèle classique des « lettres trouvées », le recueil dresse au travers de l’agencement et du style de chacun des portraits précis une magnifique machine où la lettre elle-même est piège, et objet de ruine.
Le jeu polyphonique (voir, ainsi, les présentations contrastées des uns et des autres – la Présidente de Tourvel par exemple, successivement décrite par Valmont et la Marquise, lettres 5 et 6 ) et la juxtaposition de ces voix et points de vue différents participent bien évidemment et de la dangereuse perversion de l’ouvrage et du plaisir du lecteur.
La variété des tons (de la naïveté crédule de la jeune Cécile aux jeux subtils et maîtrisés des amants machiavéliques), parfaitement maîtrisée et soulignée par tous les critiques, est elle- même étudiée et discutée par les protagonistes : c’est que l’art d’écrire – et plus largement l’art de raisonner et d’agir tactiquement en vue de la victoire – est un des sujets de préoccupation des libertins.
Ceux-ci sont en eux même un objet d’étude, et, de manière générale, l’histoire littéraire, culturelle et philosophique est particulièrement bien mise en valeur par Les Liaisons dangereuses : les libertins, libres penseurs sont tout entiers dans l’exercice de la raison en vue du pouvoir, et de la liberté. La Marquise de Merteuil le dit elle-même : « je ne désirais pas de jouir, je voulais savoir. »
Cette quête de savoir et de liberté est indissociable du mouvement des Lumières, et un auteur comme Rousseau, qui en participe pleinement, est particulièrement vanté par le couple libertin (dont la bibliothèque – qui est en soi un thème à étudier – est lisible au travers des diverses Lettres, et s’apparente assez à celle de l’honnête homme). Mais d’honnête homme ici, il n’est justement plus question : Les Liaisons dangereuses montrent le glissement entre les idéaux postulés par les Lumières et l’utilisation pernicieuse que la Marquise de Merteuil et le Vicomte de Valmont font de la raison, de l’éducation, et leur faculté de juger. Le postulat d’une bonté innée de l’homme est avec eux mis à rude épreuve.
Bien sûr, les questions de morale apparaissent au premier chef dans ce livre (comme en témoignent d’ailleurs les habiles « avertissement » et « préface du rédacteur ») et cette œuvre toute en finesse, qui empêche toute analyse binaire, révèle bien plutôt « les Lumières et leurs ombres » avec tous les questionnements que cela peut engendrer.
Chacun des personnages, que les lettres parviennent à rendre de façon si fine et individuelle, peuvent mériter un intérêt particulier : La Marquise de Merteuil, le Vicomte de Valmont bien sûr (et le couple qu’ils forment), mais aussi la Présidente de Tourvel sont des personnages incontournables.
D’une manière générale la question féminine est centrale chez Laclos, et les visages proposés par l’ouvrage, jusqu’à Madame Rosemonde, sont des figures à analyser avec en arrière plan la connaissance historique du statut de la femme au XVIIIe siècle. Les questions concernant l’éducation de la femme agitent les débats (on pense, immanquablement encore à Rousseau) et les personnages de la veuve ou de la prude sont des personnages – et presque des types – littéraires (mais présents ici, avec ô combien plus de profondeur !). Les discours de la Marquise sont, avant la lettre, de brillants plaidoyers pour la libération de la femme et, partant, préfigurent les combats féministes. Mais la Présidente, avec sa façon de se donner sans retour, et sans regret, n’est pas moins une femme qui assume ses choix.
La différence entre les deux femmes se joue avant tout entre le cœur et la raison, et cette dichotomie parcourt tout le texte, en accord avec la présence des personnages libertins. Ce duel se lit également dans les thèmes incontournables de l’hypocrisie et de la manipulation, dans le jeu de masques qui se met en place immédiatement dans le texte. La rupture entre la réalité du sentiment et les apparences est particulièrement bien mise en valeur dans l’adaptation cinématographique de Stephen Frears au travers des motifs du miroir (lieu de vérification, d’introspection, de reflets) et de l’opéra (lieu où l’on voit et où l’on est vu). Ces deux thèmes peuvent donner lieu à des exposés d’élèves à partir du film, qui, par ailleurs, a subtilement rendu par les décors, les costumes, les atmosphères et l’art du montage la dualité entre les deux « familles » présentes dans le roman : celle du « cœur » et celle de « l’esprit ».
Cette adaptation, et toutes les autres qui témoignent de l’engouement pour l’œuvre de Laclos, pourraient être sujet de réflexion et d’étude.
Elles soulignent toutes l’incontournable actualité de cette œuvre, en particulier dans l’analyse des rapports homme/femme qu’elle propose, entre amour, joutes d’ego, recherche de la liberté… Autant de sujets qui, gageons-le, sauront être débattus par des élèves que ces Lettres toucheront sûrement !