Présentation
L’auteur
Ahmadou Kourouma, né en 1927 à Togobala, en Côte d’Ivoire, en pays malinké, et mort à Bron le 11 décembre 2003, est l’une des voix majeures de la littérature, non seulement africaine et française, mais également mondiale.
« Pour ceux qui connaissent le malinké, Kourouma et Doumbouya, c’est le même nom »1. Ces paroles de Kourouma, traçant un parallèle évident avec Fama Doumbouya, personnage principal de son premier roman (Les Soleils des indépendances), rappellent surtout l’enracinement de l’auteur dans un contexte culturel précis qui le rattache à la noblesse des guerriers-chasseurs malinké.
Kourouma, de formation scientifique, est envoyé en Indochine en tant que tirailleur et travaille ensuite comme assureur. Il n’était pas prédisposé à faire oeuvre littéraire. En 1960, année de l’indépendance ivoirienne, il revient au pays. Accusé de « complot » par Houphouët-Boigny, il est arrêté en 1963. S’il est vite libéré, il n’en va pas de même pour de nombreux amis. C’est avant tout pour honorer leur mémoire que Kourouma écrit Les Soleils des indépendances qui, refusé par les éditeurs français, sera publié à Montréal en 1968. Son succès outre-Atlantique est important et Le Seuil rachète alors, pour une publication française, les droits du roman qui connaît un grand retentissement. La publication de ce livre conduit l’auteur à s’exiler hors de Côte d’Ivoire (Algérie, Cameroun, Ghana, Togo, …).
Kourouma est un écrivain engagé qui interroge l’histoire par le biais de l’écriture, et réévalue les discours admis, qu’il s’agisse de ceux du monde colonial blanc, du pouvoir dictatorial ou de celui du dictionnaire. En quatre oeuvres majeures publiées de son vivant est retracée et éclairée toute l’histoire de l’Afrique : Les Soleils des indépendances témoignent du désenchantement lié aux indépendances; Monnè, outrages et défis revisite l’histoire de la colonisation du point de vue de l’Afrique ; En attendant le vote des bêtes sauvages dépeint les parades sauvages des dictatures en Afrique et Allah n’est pas obligé dresse, au travers de son narrateur Birahima, le tableau sombre d’une Afrique blessée par les guerres et qui verse le sang de ses enfants-soldats.
Considéré par beaucoup, en raison de la subtilité de ses analyses, comme l’un des meilleurs politologues de l’Afrique, Kourouma est également un écrivain hors pair et s’il subvertit les codes établis, nul doute que cette subversion commence par celle de la langue française « classique » dont on a pu dire qu’ il l’avait «cocufiée» ou «abâtardie». Profondément lié, de par ses origines et sa culture, à la parole du griot, il connaît les pouvoir du verbe et les diverses stratégies du dire. Il sait également que les chemins de traverse sont particulièrement utiles.
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L’œuvre
L’œuvre de Kourouma est saluée, entre autres, par le Goncourt des lycéens (pour Allah n’est pas obligé) et a donné lieu à de nombreuses adaptations théâtrales (Fama – qui met en scène Les Soleils des indépendances et Monnè, outrages et défis – par l’Ymako Teatri ; Allah n’est pas obligé, par la compagnie de l’Antre-deux au Lavoir Moderne Parisien, Monnè, outrages et défis adaptaté par Stéphanie Loïk et joué au Tarmac de la Villette).
Un prix Kourouma a été créé en 2004 et est décerné chaque année, à l’occasion du Salon du livre africain de Genève. Il récompense une Å“uvre qui, par sa qualité et son implication, offre un écho à l’engagement de l’écrivain qui lui donne son nom.
Allah n’est pas obligé met en scène un enfant d’une dizaine d’années, Birahima, parti à la recherche de sa tante et qui devient enfant-soldat, instrumentalisé comme tant d’autres, dans les récentes guerres du Libéria et de Sierra Leone. Par le biais de ce narrateur pas comme les autres, racontant sa « vie de merde » dans sa langue à lui – malpolie et directe – et à l’aide de quatre dictionnaires, l’auteur aborde de nombreux thèmes, dont celui du rapport à la langue (souvent «de bois») et à ses codes.
Si l’analyse de l’argumentation s’adresse plutôt à des classes d’un bon niveau (car Kourouma est un véritable stratège de la langue), l’œuvre peut néanmoins être abordée avec des groupes de tous niveaux. Par son histoire et son inscription dans une situation politique contemporaine, elle suscite de nombreuses réactions de la part des élèves. Il y a donc tout à gagner à étudier un texte qui ne laisse pas indifférent, quelle que soit sa difficulté.
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Les thèmes
L’étude des textes de Kourouma s’intègre particulièrement bien à une séquence consacrée à l’argumentation : les stratégies discursives, les pouvoirs et abus de la parole, les rapports complexes de l’histoire officielle – écrite par les vainqueurs – à son ombre officieuse sont particulièrement bien analysés dans ses romans.
Kourouma est l’écrivain de la mise à distance, qui réfute les évidences, grâce à l’ironie. Il peut s’étudier, sous cet angle, dans la lignée des écrivains des lumières (cf. groupement de textes).
Les thèmes qui prédominent dans le roman sont :
- la violence et l’humour : les faits racontés par Birahima dans le texte sont d’une violence extrême ; il peut être intéressant de les mettre en regard avec la façon dont ils sont justement relatés en s’appuyant sur une narration particulière, un vocabulaire peu ordinaire et un humour qui met à distance. Le thème de la violence – envers les enfants et plus largement les plus faibles – peut également être étudié seul) ;
- le rapport à la langue comme outil de maîtrise et de domination ;
- la géopolitique et les rapports Nord/Sud ;
- la figure du «narrateur-enfant» est également intéressante et s’intègre bien à une séquence sur les stratégies argumentatives. Un groupement de textes sur l’enfant-soldat ou l’enfant dans la guerre est également envisageable (cf. le dossier sur Reine Pokou de Véronique Tadjo de la collection « Parcours littéraires francophones » pour approfondir ces thématiques).
1 « Ahmadou Kourouma raconte », entretien avec Jacqueline Sorel, CLEF/RFI. Ces entretiens vont être réédités par Frémeaux et associés, RFI et Cultures france. Des extraits sont disponibles sur le CD anniversaire de la revue Cultures Sud (anciennement Notre Librairie).
Pour plus de renseignements : www.adpf.asso.fr/notrelibrairie