Présentation
L’auteur
Né en 1968 au Liban, Wadji Mouawad est l’un des plus dramaturges les plus doués de sa génération et l’une des figures montantes de l’aire francophone.
En 1976, sa famille quitte le Liban en proie à la guerre naissante pour s’installer en France, où Wajdi Mouawad grandit jusqu’à ses 14 ans. Vient ensuite une nouvelle migration qui le conduit au Québec, à Montréal. Depuis septembre 2007, il occupe le poste de directeur artistique du Théâtre Français du Centre National des Arts d’Ottawa. Durant la saison 2007-2008, il travaille en collaboration avec l’espace Malraux, de nouveau à Chambéry, où il crée notemment Seuls.
Ces enracinements successifs ont pu lui faire dire, sous la forme d’une boutade, « pour faire image et pour [se] vanter » que « [s]on enfance est libanaise, [s]a culture française et [s]on théâtre québécois »1. La plaisanterie souligne surtout les appartenances multiples de l’auteur, qu’il serait bien malaisé que faire entrer dans une seule catégorie. Comédien, auteur et metteur en scène – de ses propres Å“uvres et de nombreux autres auteurs 2 – Wajdi Mouawad est profondément impliqué dans l’aventure et la vie théâtrales, qui sont un espace du dialogue, de la parole essentielle qui s’arrache, se transmet, se contamine. Un espace, surtout, de la rencontre, « c’est à dire ce besoin effrayant de nous extraire de nous-mêmes en permettant à l’autre de faire irruption dans nos vies et de nous arracher à l’ennui de l’existence. »3
De 1990 à 1999, il codirige ainsi la compagnie Théâtre Ô Parleur avec Isabelle Leblanc. De 2000 à 2004, il assure la direction artistique du Théâtre de Quat’sous à Montréal. En 2005, c’est le début d’une aventure théâtrale des deux côtés de l’Atlantique avec la création de deux compagnies « jumelles », l’une au Québec : Abé carré cé carré et l’autre en France le Carré de l’hypoténuse.
Mais Wajdi Mouawad est aussi, et peut-être surtout, quelqu’un qui raconte des histoires. Des histoires denses, violentes, mais également magnifiques et lumineuses et où se déploient les thèmes chers à l’auteur : l’enfermement, la quête des origines, le huis clos familial et ses secrets, les énigmes de la filiation, la guerre et la mort …
En France, c’est en particulier au travers de la « trilogie » que constituent les pièces Littoral, Incendies et Forêts – et qui explore particulièrement cette nécessité des origines et de l’héritage – que le public le découvre.
D’une grande cohérence, entre violence, interrogations profondes et poésie, le théâtre de Wajdi Mouawad est avant tout une aventure à découvrir sur scène. Cependant, et si l’on veut le « définir », cette citation de Jean-François Côté peut être une belle introduction :
« Wajdi porte un théâtre dans sa tête. Parfois il le délivre sur scène ; parfois il le replie dans les pages d’un roman ; parfois il l’investit dans un lieu entier. L’énergie qui déborde de la représentation anime les esprits ; le théâtre de Wajdi possède un souffle puissant, une poésie océanique capable de porter dans les gestes la démesure des tensions de notre monde. Le théâtre engagé de Wajdi est un théâtre intrinsèque, où toutes les pièces sont toujours là , conviées au partage d’un rituel des angoisses qui ne s’apaisent pas, et cela malgré la force des images invoquées pour les réconcilier entre elles. L’imagination est ici une force au service de la lucidité et un antidote au désespoir. » 4
De septembre 2007 à 2012, Wajdi Mouawad assurera la direction artistique du Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa (Canada).
Wajdi Mouawad a été plusieurs fois boursier de différentes structures (Conseil des arts du Canada, Ministère de la Culture…) et a notamment été auteur en résidence à Limoges (Maison des auteurs, en 1993 : le Festival des Francophonies en Limousin est d’ailleurs très souvent le lieu des premières de ses pièces), au théâtre Artistic Athévains (Paris, février 1997), au théâtre l’Arrière-Scène (octobre 1996), au théâtre Jean Lurçat (Aubusson 2004). Son Å“uvre a été récompensée à de multiples reprises, au Québec et en France, pays qui lui a décerné le titre de chevalier de l’Ordre National des Arts et des Lettres pour l’ensemble de son Å“uvre en 2002.
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Å’uvre
Un obus dans le cÅ“ur est un court récit (moins d’une vingtaine de pages), créé au théâtre de Sartrouville lors de la biennale de création théâtrale pour la jeunesse.
Il met en scène le monologue de Wahab, jeune homme de 19 ans, réveillé en pleine nuit par un coup de téléphone qui lui apprend que sa mère, malade d’un cancer, agonise. En route pour l’hôpital, Wahab est assailli par les souvenirs, des sentiments troubles, réveillés par la mort imminente d’une mère qui a pour lui, le jour de ses 14 ans, perdu son visage familier.
Ce texte qui retrace la vie du jeune homme, convoque les cauchemars de l’enfance, les traumatismes de l’histoire et les tracas du quotidien. Très lisible de par sa langue contemporaine au registre familier alliant humour et poésie, le texte est d’une compréhension littérale aisée (pas de recherches dans le dictionnaire pour les élèves !).
En revanche, cette facilité « littérale » n’est aucunement liée à une facilité de compréhension, au contraire : le texte évoque la douleur du deuil, l’étrangeté à soi-même, aux autres et au monde. Volontiers « dérangeant » (Wahab ne parvient pas à « pleurer » sa mère agonisante), et d’une extrême violence également (la scène de l’attentat du bus en particulier), il provoque des questionnements profonds qui n’ont rien d’évident et auxquels il serait bien difficile de répondre par des certitudes.
Néanmoins, on peut légitimement penser que les thèmes abordés (révolte, confusion des sentiments, mal-être) résonnent profondément chez des adolescents en prise avec la violence du monde contemporain et la difficulté à se construire. Il y a fort à parier que si l’étude du texte peut se révéler éprouvante, elle sera aussi riche et dense en émotions et enseignements.
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Thèmes
Un obus dans le cÅ“ur permet de nombreuses pistes d’analyses et s’intègre parfaitement à des séquences consacrées au biographique ou au travail de l’écrivain. En effet, ce texte est une adaptation du roman Visage retrouvé que l’auteur a publié en 2002 (Leméac/Actes Sud).
La confrontation entre roman et récit5 peut être une piste intéressante d’analyse, en particulier si l’on s’intéresse à la genèse d’une Å“uvre. Le lien à l’autobiographie, toujours retravaillé chez Wajdi Mouawad par une écriture marquée par l’onirisme, est également une piste féconde qui met bien en valeur le travail de l’écrivain (matériau, organisation, réécritures…). Si le recours à la psycho-critique ne se révèle pas toujours heureux, il y a fort à penser qu’elle puisse apporter à l’œuvre de Wajdi Mouawad des éclairages intéressants. Cela peut être l’occasion d’utiliser ces outils critiques particuliers.
Par ailleurs, la façon de retravailler le matériau personnel pour écrire permet à l’élève de réfléchir à son propre travail d’écriture. Et la confrontation entre les deux textes permet de mettre en valeur les spécificités des différents genres (la profondeur, la caractérisation lié au roman, le développement du contexte, le traitement des personnages en regard du resserrement du récit, …)
Les thèmes liés au biographique sont très importants : l’absence à soi-même et au monde, la construction de l’identité, le rapport à la mort, la difficulté du deuil sont au cÅ“ur du texte.
L’importance des perceptions, le lien entre sentiments, ressentis et irrationnels (la trame du texte est construite autour de la transformation de la mère) permet de revenir sur les notions de récit fantastique et de s’intéresser à la narration à la 1ère personne.
Il est intéressant de lier à cela l’importance de la mémoire, la résurgence des souvenirs et la façon dont ils modèlent l’écriture.
La violence et la guerre sont également des thèmes majeurs abordés par le texte, renvoyant à une actualité particulièrement brûlante de notre monde contemporain.
Les thèmes à mettre en valeur ne manqueront donc pas dans ce texte, surtout si l’on ouvre plus largement l’étude à l’œuvre de Wajdi Mouawad dans son ensemble. Dans le cadre de la préparation à l’épreuve anticipée du baccalauréat de français, on pourra donc proposer aux élèves toute une série d’exposés thématiques à présenter en classe (voir les propositions faites en début du chapitre « pistes pédagogiques ».)
1 Jean-François Côté, Architecture d’un marcheur. Entretien avec Wajdi Mouawad, Leméac, « L’écritoire », 2005
2 On peut ainsi signaler, de façon non exhaustive, les adaptations de Macbeth de Shakespeare (1992), Trainspotting d’Irvine Welsh (1998), d’Œdipe Roi de Sophocle (1998), des Troyennes d’Euripide (1999), de Lulu le chant souterrain de Frank Wedekind (2000), du Mouton et la baleine d’Ahmed Ghazali (2001), de Six personnages en quête d’auteur de Pirandello (2001) ou encore des Trois sÅ“urs d’Anton Tchekhov (2002).
3 Wajdi Mouawad, texte d’introduction à Littoral (Leméac / Actes Sud papier, 1999)
4 Jean-François Côté, Architecture d’un marcheur. Entretiens avec Wajdi Mouawad (Leméac, 2005 « L’écritoire ». Introduction : « Un théâtre dans la tête »).
On ne saura trop recommander la lecture de ce très bel ouvrage, malheureusement difficile à trouver en France, qui permet d’entrer facilement et en profondeur dans l’univers et la création de Wajdi Mouawad. A titre informatif, un exemplaire est disponible à la bibliothèque Gaston Miron de Paris (voir la section Ressources de ce dossier).5 Ce texte a été mis en scène et peut être lu comme un monologue de théâtre, mais également comme un récit car il ne fait apparaître aucun des traits marquants de l’écriture théâtrale.