Présentation
Auteur
Jacques Poulin est né en 1937 à Saint-Gédéon de Beauce, au Québec. Il étudie les lettres et la psychologie, et commence sa vie professionnelle en tant que traducteur commercial, puis travaille comme conseiller d’orientation dans un collège. C’est à trente ans, en 1967, qu’il publie son premier roman, Mon cheval pour un royaume. À partir de 1969 et de son deuxième roman, Jimmy, il se consacre uniquement à l’écriture. Dès lors, il se compose un univers littéraire particulier fait de personnages en mal de communication, incapables d’exprimer leur souffrance de vie, et en constante recherche d’affection. Les thèmes du livre ou de l’écriture ne sont jamais très loin et restent ancrés dans son univers littéraire… Tous les personnages de Jacques Poulin, en quête perpétuelle du bonheur, sont pétrifiés quand ils s’en approchent enfin. Dans les années 1970, il écrit trois romans, et trouve son rythme d’écriture : Le CÅ“ur de la baleine bleue en 1970, Faites de beaux rêves en 1974 et Les Grandes Marées en 1978. C’est en 1984 qu’il publie son Å“uvre la plus célèbre, Volkswagen Blues, où les grands espaces, l’Amérique profonde et les sentiments humains se rejoignent avec beaucoup de simplicité, et où la douleur et l’amour se battent, comme dans La Tournée d’automne, pour posséder le coeur d’un seul homme.
Dans les années 1980, il s’installe en France, où il vivra pendant une quinzaine d’années : à Paris d’abord, puis à Collioure, dans le sud du pays. Il cherche à se sentir déplacé, dans un pays qu’il aime par ailleurs beaucoup, pour exercer son regard d’étranger avec le plus d’acuité possible.
Le Vieux Chagrin (1989), La Tournée d’automne (1993) ou encore Chat sauvage (1998) datent de cette période d’exil volontaire. Il revient à Québec à l’âge de 65 ans, victime du mal du pays, où il publie Les Yeux bleus de Mistassini (2002).
Personnage discret, voire secret, Jacques Poulin mène une vie tranquille, qui trouve épanouissement dans l’écriture ; son univers littéraire, Ã l’image de sa vie, est d’une grande simplicité.
On retrouve un peu de Poulin dans un des personnages de La Tournée d’automne : Jack, l’écrivain fainéant et pourtant obsédé par l’écriture. Est-ce le même Jack que le personnage principal de Volkswagen Blues, lui aussi homme de lettres, ou celui de Chat sauvage, ou des Yeux bleus de Mistassini ? Est-il un véritable double du romancier (nul besoin de souligner la paronymie Jacques/Jack) ? En tout cas, comme le mari de la patiente Rachel, Jacques Poulin déteste ses livres passés et n’en voit que les défauts.
Voir les Å“uvres de Jacques Poulin dans la bibliographie ci-après.
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Le roman
Ce court roman, publié en 1993 au Québec et en 1996 en France, présente, comme souvent, dans l’Å“uvre de Poulin, un monde empreint tout à la fois de tendresse et d’inquiétude vitale. Les personnages de La Tournée d’automne sont des êtres profondément humains, et, en tant que tels, les jouets de doutes et de sentiments contradictoires : bonheur, plaisir, peur, désespoir, retour à la vie…
Le roman s’ouvre sur la rencontre entre le personnage principal, » le Chauffeur « , dont on ne connaîtra jamais le nom, et Marie : il est un Chauffeur de bibliobus, qui travaille pour le gouvernement canadien et qui se prépare pour sa tournée d’été sur la côte nord du Québec, elle est une femme française qui accompagne une troupe de saltimbanques à travers la » Belle Province « .
Leurs rapports sont immédiatement nimbés d’une grande douceur et d’une intensité qui ne peut échapper au lecteur : leur accord est parfait, mais quelque chose semble retenir les deux personnages et les empêcher de réellement se rencontrer amoureusement.
Le Chauffeur assiste par hasard à un spectacle donné par la fanfare à laquelle appartient Marie, devant le Château Frontenac, à Québec. Après le spectacle, il remarque cette femme aux cheveux gris, à la voix cassée, et dont le visage lui rappelle celui de Katherine Hepburn. Ils échangent seulement quelques mots. Après plusieurs rencontres tout aussi ambiguës, il est finalement décidé que la fanfare suivra le bibliobus du Chauffeur, dans un vieux bus scolaire, pour que ses membres visitent la côte nord de la Province. De Québec jusqu’à Havre-Saint-Pierre, dans la région de Duplessis, leurs chemins vont de séparations en retrouvailles car Marie semble hésiter entre voyager avec ses camarades et accompagner le Chauffeur.
On suit également le Chauffeur dans sa tournée : cet amoureux des livres est heureux de partager son plaisir de la lecture et de faire découvrir les Å“uvres qu’il transporte avec lui, dans les petits villages qu’il traverse et où l’attend son réseau de lecteurs, des hommes et femmes qui sont presque devenus pour lui des amis : Madeleine, le chef de réseau de Sainte-Irénée, le garde forestier de Baie- Trinité, ou encore le pilote d’hydravion de Havre Saint Pierre.
Au bout de la route, laissant son ami l’acrobate Slim, la chanteuse Mélodie et ses autres compagnons partir à la découverte des villages de la Basse-Côte-Nord, Marie reprend le chemin de Québec, où elle doit prendre son avion de retour, en compagnie du Chauffeur, qui lui fait découvrir la région de la Gaspésie.
On comprend, à mesure que le roman avance, que le Chauffeur est terrifié à l’idée de vieillir, et qu’il a décidé que cette tournée d’été serait la dernière, puisqu’il compte mettre fin à ses jours à son retour. Mais chacun des deux personnages devra renoncer à son projet : Marie restera auprès du Chauffeur, qui, lui, restera en vie.
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Les thèmes
Le conflit qui anime les deux personnages principaux constitue le double thème principal de l’Å“uvre : la vieillesse et la mort ; l’amour et la vie. Ces deux entités forment une tension sensible qui parcourt l’ensemble du roman, et dessinent peu à peu le caractère du Chauffeur, déchiré entre les choix qui s’offrent à lui. Elles font aussi partie intégrante du personnage de Marie (ce qui explique la proximité entre les deux personnages), et elles interviennent tour à tour dans le cours du récit :
- le vieux Georges, un usager du bibliobus, va mal, et tout le réseau de Sainte-Irénée est inquiet (p. 67-68) ;
- une petite vieille vient emprunter un livre et la faiblesse de l’âge refait surface (p. 53-55) ;
- une femme chef de réseau doit faire face à un deuil (p. 117-118) ;
- une motarde aux questions existentielles est déçue de ne pouvoir en trouver les réponses dans les livres (p. 170-171)…
Jacques Poulin nous propose ici une réflexion sur la peur de vieillir. Le Chauffeur ne veut pas connaître ce qu’il pense être un naufrage, comme il l’explique d’ailleurs à Marie :
(…) j’éprouve toujours les mêmes craintes, les mêmes désirs les mêmes besoins que lorsque j’étais petit. Quand les déficiences physiques viendront s’ajouter à tout cela et elles sont inévitables , ce sera le désastre, la déchéance. C’est ça que je ne veux pas vivre. (p. 158)
Le chemin du Chauffeur croise également celui de Simone, jeune fille du nord québécois, lectrice passionnée, avec qui l’échange autour des livres, concret, se fait toujours sans détours (p. 136-139).
Et, les relations avec Marie donnent à l’Å“uvre une atmosphère de douceur, de vie et de joie sereine : les passages sont nombreux où l’ambiguïté génère une forte émotion, tel ce dialogue plein de belle retenue où ils se séparent pendant le temps d’un court voyage (p. 99).
La Tournée d’automne est aussi un roman sur la nature, les relations de l’homme avec elle. Il s’agit d’une découverte de la côte Nord du Québec et des beautés d’un paysage que l’homme a laissé intact, ou du moins, qu’il occupe sans destruction. Le rapport au monde naturel ne se construit pas dans une opposition Québec-France. Marie, » peintre d’oiseaux » (p. 62), vient d’une région où la nature, bien qu’humanisée, reste le centre du paysage :
Ah oui, chez vous c’est une région de collines…
- Il y en a partout. Elles vont dans tous les sens, la lumière change sans arrêt et le paysage est très doux. De plus, on voit toutes sortes d’oiseaux. (p. 28).
Le rapport à la nature est donc, lui aussi, un rapport d’évidence, de présence qui s’impose en douceur aux personnages. C’est par l’amour du paysage que naît l’amour entre les êtres et que commence l’histoire d’amour entre le Chauffeur et Marie.
Cette Å“uvre est enfin un récit sur les livres : le métier du protagoniste est au centre de nombre de scènes du roman, et le rapport au livre se confond parfois avec le rapport à la nature. À mesure que le roman avance, les livres évoqués deviennent des ouvrages sur la nature autour de la baie du Saint-Laurent (le Journal de Jacques Cartier p. 127, Yves Thériault, Roi de la côte du Nord, p. 109, ou encore Mgr René Bélanger, La Côte-Nord dans la littérature, p. 82).
C’est aussi le rôle des livres, leur fonction, leur efficacité qui est évoquée : peuvent-ils rendre la vie plus légère, redonner le goût de vivre à ceux qui ne l’ont plus ? Si la littérature reste essentielle au bonheur humain, à la reconnaissance du monde dans sa diversité et dans sa beauté, elle ne remplace pas la vie, qui est le véritable bonheur.
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